° Rubrique Philo: Capes-Agreg

Aide à la préparation au CAPES -

Rubrique proposée et animée par  François Palacio

Dissertations de philosophie - Préparation à l'agrégation

 L’irreprésentable

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III-  L’irreprésentable comme anéantissement de la subjectivité

Qu’entendons-nous par destruction de la subjectivité ? Puisque toute positivité doit se poser dans la représentation, il n’y a que l’anéantissement pur et simple de la position d’existence qui puisse nous évoquer l’irreprésentable.

Ainsi l’anéantissement de la position d’être, l’existence, mais en même temps la destruction de la subjectivité, créent les conditions de l’irreprésentable. Or c’est là l’expérience du mal absolu et de l’Atroce. Reprenons l’analyse kantienne du sublime au §29 de la Critique de la faculté de juger. Le sublime nous met face à une expérience dont on ne peut achever la synthèse dans le concept. En ce sens elle dépasse la représentation, mais je puis néanmoins me représenter moi-même comme cet être dont la faculté raisonnable se donne pour tâche une synthèse jamais achevée. S’y découvre une destination morale par laquelle je suis à même de dépasser ma nature sensible. Là encore je ne touche pas à l’irreprésentable mais je m’appuie sur une limitation de ma faculté représentative pour me représenter ce qui n’apparaît pas dans l’empirie : ma nature d’être moral. Aussi l’irreprésentable doit se trouver dans la négation même de cet être moral, dans l’Atroce et non plus dans le sublime. L’irreprésentable va alors consister dans un impératif catégorique renversé : agis toujours uniquement de telle sorte que la maxime de ton action puisse valoir comme un principe de destruction universelle de l’humanité en l’homme. C’est là la figure du mal absolu. Que peut on dire de lui ? Adorno se pose cette question dans la Dialectique de la raison : « peut-on encore parler après Auschwitz ? ». Oui, à condition de ne pas voir ce qui est irreprésentable : la présence en l’homme d’un instinct de néant. Auschwitz nous apprend Rien. Vouloir y trouver une leçon, c’est le rendre représentable, soumis au principe de raison et ne pas aller jusqu’au bout de ce que l’Holocauste est en soi : la néantisation de l’homme et avec elle l’impossibilité d’en rien dire. C’est là l’essence même du totalitarisme d’avoir tenté l’expérience de la destruction de la subjectivité. Selon Hannah Arendt dans le Système totalitaire, c’est la désolation qui constitue le premier pas du totalitarisme, l’isolement de la subjectivité ; le second est le mouvement absolu où l’individualité ne peut plus trouver de place où se fixer et disparaît, engloutie dans l’indistinction de la masse infestée par le Parti. Or cette expérience a, bien heureusement, avorté car la subjectivité ne peut se supprimer elle-même. Mais qu’elle y tende et qu’elle ne le puisse pas par elle-même ne nous révèle-t-il pas un fond de l’homme qui puisse le convoquer à la rencontre de sa propre existence par une mise en question de cette existence même ? Ne se peut-il que l’irreprésentable fasse irruption et appelle l’homme à tourner les yeux vers ce qu’il ne voit pas : la présence d’un monde qu’il tient ouvert mais qu’il n’atteint que dans le geste second de la représentation ?

En effet, l’homme est au monde et par là fait l’expérience d’un devant-lui d’objets qui lui font encontre. Il n’a accès à ce monde qu’à travers la représentation des objets pris dans leur relation à lui. Mais ce monde lui-même, en sa présence, ne peut faire irruption dans la représentation. Le lieu que l’homme est, il ne se peut se le représenter que comme un lieu déjà là où il est. Néanmoins, cet être-au-monde peut se révéler à lui, sans qu’il ait cherché à le voir, dans le sentiment de la nullité de ce monde même : dans l’angoisse. Dans l’angoisse, le monde et ses significations objectives se suspendent et par là même apparaissent. Ce n’est pas la peur qui recule devant un objet, même flou, pendant que tous les autres objets disparaissent autour pour ne plus le laisser que lui face à moi. L’angoisse est un sentiment d’étrangeté qui fait apparaître le monde. C’est là le caractère de révélation de l’angoisse. Justement parce que le monde perd sa consistance de réseau d’objets disponibles étalés dans la représentation, ce monde apparaît comme ce qui n’est jamais représentable : pure présence. Aussi faisons retour sur notre affirmation qu’il n’y a pas d’expérience absolue. Il en existe justement une, présenté dans le Ch. IV de la Phénoménologie de l’Esprit, la peur de la mort, le maître absolu, qui donne à l’homme engagé dans le combat pour la reconnaissance la possibilité de saisir son être-au-monde, la condition qu’il n’atteint jamais parce qu’il est toujours conditionné par les rapports d’existence. Ainsi la condition de la représentation est l’irreprésentable présence de l’être-au-monde. L’irreprésentable apparaît par un sentiment d’étrangeté qui découvre l’homme à lui-même et coupe court à toute possibilité de thématisation objective. Comme l’a amplement montré Heidegger, lorsqu’on cherche à saisir l’être on touche l’étant. C’est dans l’ombre projetée de l’étant que l’être se présente comme n’étant pas présent

En conséquence, nous est apparu combien il était difficile de dire ce qu’est l’irreprésentable. En réalité, nous ne l’avons pas dit, à la limite montré en négatif. La représentation a besoin du concept. A peine l’idée, qui enfle les limites du possible, peut-elle concevoir ce qui se présente hors de tout langage. Néanmoins, nous avons vu que si l’irreprésentable n’était pas rien, il était ce qui soutient la représentation : il est ce qui se présente, le plus simple dans son inatteignable proximité, l’être. Mais un autre irreprésentable nous a appelé à son encontre, qui marque les limites par lequel l’être fait irruption au milieu des structures conditionnées de l’être au monde, justement lorsque cet être-au-monde ne va plus de soi. Cet irreprésentable est celui de l’impossible qu’il ne fallait pas provoquer : l’Autre absolu, folie, mort et destruction. Si, comme Nietzsche dans le Gai savoir aime à le noter pour mieux humilier la raison dans ses prétentions à tout comprendre, le concept est un outil d’adaptation vital,  peut-être a-t-on raison de ne pas chercher plus loin que ce que l’instinct pratique nous permet, n’allant pas tenter l’expérience sans retour d’un regard dans l’abîme qui, à cet instant, regarde aussi en nous.

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