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ALBERT CAMUS  1913 / 1960  

Camus:  LA   CHUTE 

- Clamence et les femmes!
             
1ère partie: AVANT - 2ème partie: APRÈS

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- Clamence a cherché à faire taire le rire moqueur par une confession de ses failles que ses semblables refusent comme on refuse un éclairage trop vif sur ses propres faiblesses: refus lourd d'une condamnation de l'inavouable préférence de soi, ce grand amour de soi qui fait que tout glisse et qu'on ne se souvient jamais que de soi-même.

(pages, références du livre de poche)

Jean-Baptiste Clamence sera-t-il la voix qui crie dans le désert dans son commerce avec les femmes avant l'expérience de lucidité?
Il retourne alors vers les femmes qui "ne condamnent jamais aucune faiblesse... la femme récompense du criminel" (folio page 105). Distinguons Clamence et les femmes avant et après les deux expériences de lucidité au cours desquelles il découvre l'origine du mal, le grand amour de lui-même et sa lâcheté dans l'incident avec le motocycliste.

- AVANT -
Clamence n'aime que l'amour: il poursuit donc la mort d'autrui:  
"il fallait que les êtres que j'élisais ne vécussent point" (p.73)

 Il profite de son charme pour arriver à ses fins: réussir signifie non pas donner du bonheur mais éprouver du plaisir à volonté."J'arrivais à mes fins à peu près quand je voulais" p.62

Il profite spontanément, animalement, innocemment: il utilise les femmes sans en aimer aucune mais en les estimant toutes plus que lui-même comme s'il pressentait obscurément en lui le mal avant même qu'il ne se déclare. "Je les ai jugées meilleures que moi" p.62

Il confond le désir et l'amour: s'il n'aime aucune femme c'est qu'il s'aime trop; n'aimant que soi il désire le plaisir ou la gloire fugace que donne une conquête; plaisir et prestige que la femme objet qu'on soumet ou qu'on exhibe donne à coup sûr. "Je me vante de ce qui est vrai" p.63

Pourtant le plaisir garde un caractère essentiel par son intensité et le fait que, n'étant pas attaché à un objet particulier, il laisse libre, au contraire de la passion qui aliène à l'objet unique, et donne aussi le charme de l'impossible conquête.

C'est donc bien d'un "commerce" qu'il s'agit (p.64) puisque Clamence reçoit un plaisir en échange duquel il donne aux femmes un rêve: devenir "l'unique objet" de ce libertin de la chair, transformer le désir en passion: plaisir contre illusion, c'est bien un commerce. "A force de n'être pas romantique, je donnais un solide aliment au romanesque" p.64

Clamence est un joueur: il mène un jeu de piste, un risque sans risques, un poursuite gagnée d'avance selon des règles acceptées, une stratégie convenue où chacun attend de l'autre de vieux poncifs qui marchent toujours car tout est gagné d'avance comme dans un jeu où rien n'est vraiment risqué, où tout est gratuit et où chacun retrouve sa liberté par rapport aux règles à la fin de la partie (p.67). D'ailleurs, en cas d'échec, la partie peut toujours être rejouée.

MAIS, le jeu ne prouve rien et doit donc être sans cesse recommencé au risque de verser dans l'habitude et dans la perversion, dans "l'autruicide" du sadisme  "Elle rendit hommage à voix haute à ce qui l'asservissait"(p.70)

C'est l'acte d'amour qui juge Clamence en révélant son égoïsme et sa vanité avant l'expérience de lucidité: "L'acte d'amour est un aveu, l'égoïsme y crie, la vanité s'y étale, ou-bien la vraie générosité s'y révèle" p.70. Clamence cherchait, et la satisfaction, et l'indépendance, dans la relation amoureuse mais l'expérience de lucidité va changer sa relation aux femmes comme s'il voulait maintenant leur demander l'oubli.

Avant la chute le désir, source de paroles et de jeu, provoquait les rencontres de Clamence, le désir qui se nourrit d'une absence et qui meurt d'une présence pour renaître d'une nouvelle absence, d'un être de fuite qui était simplement promesse de plaisirs ou de prestige.

- APRÈS -

L'expérience de lucidité, dissipant les brouillards de l'imaginaire, semble tuer le désir et, ramène, réduit Clamence au besoin qui lui, au contraire du désir, se satisfait d'une présence qu'il consomme;
Cette perte apparente du désir marque la perte de la parole et avec elle disparaît le goût du jeu qui scandait les conquêtes.

La suite se déroule selon trois étapes, trois échecs:

Etape 1. Désormais le besoin remplace le désir, le discours convenu remplace la parole créatrice.La débauche présente et toujours évanouissante prend la place des projets et des conquêtes, comme la mort s'installe lentement à la place de la vie.
   Pourtant le désir renaît de ses cendres comme manque éprouvé d'une reconnaissance, d'un amour: mais le manque n'est plus qu'un besoin et l'amour, loin de consister à vouloir le bien, consiste encore à vouloir son bien: un autruicide.
"Je ressentis le besoin d'un amour. Obscène, n'est-ce pas?" (p.105). Car un besoin, ça appelle la nourriture, ça appelle la boisson, un remplissement: associer besoin et amour c'est suggérer des représentations d'actes de consommation ou d'absorption, d'ordre sexuel.

Pourtant l'objet de ce besoin n'est pas un corps mais un amour, une passion qui lui permettrait peut-être d'échapper au narcissisme de ses anciens rapports: c'est, à être présent à quelqu'un, à exister pour quelqu'un, que Clamence s'applique, taraudé par le doute, en répétant la supplique désespérée qui agaçait tant L'Etranger: "Tu m'aimes?" page 106
Mais ses amours illusoires, nées d'un refus de penser - "Je fis la bête" page 105- meurent prosaïquement d'une rencontre physique qui voit la métamorphose du "perroquet", récitant les discours de la presse du coeur, en "serpent"de froideur et de frigidité:
"Après avoir aimé un perroquet, il me fallu coucher avec un serpent" page 106

Etape 2. Désespérant d'un amour unique, Clamence se perd dans la multiplicité des amours qui ne font qu'ajouter des remords à ses remords (page 107), par la même faute recommencée de se préférer- le mal radical dirait Kant.
Au-delà des liaisons d'avant, au delà de l'amour d'après, il tente l'amitié: C'est l'irruption de l'ennui, de cette vérité assommante que plus rien ne masque: c'est toujours le même amour de soi, la même générosité restreinte. Ce tête à tête avec soi auquel le ramène l'amitié est une chambre d'écho pour le rire qui le poursuit.

Etape 3. Enfin il demande à la débauche l'apaisement par l'épuisement: le silence des petits matins où le désastre de ce qui est défait fait croire à celui qui se lève, qui s'échappe, qu'il est immortel, qu'il échappe au désastre puisqu'il le quitte: il se reste et en ce sens rien d'essentiel n'a disparu (page 109). C'est que dans la débauche on ne contracte aucune obligation aliénante, on est quitte, on ne demande rien de plus, on se possède donc soi-même, au de-là de la crainte ou de l'espérance que le désir d'autrui introduit toujours dans la plus belle des fêtes alors que dans la débauche il ne peut y avoir de lendemain que l'imagination fait chanter.

Comprenons que Clamence veut exténuer son âme en exténuant son corps: il s'attaque à la vie, à son existence pour anesthésier la souffrance: mais on ne peut faire disparaître que ce qui est dans l'extériorité, on ne peut faire disparaître la souffrance du moi, l'épreuve de soi, la présence à soi. 
Comprenons que la souffrance de Clamence est proportionnelle à la Virilité dans tous ses sens, à l'orgueil: Clamence croit donc épuiser la virilité, épuiser la souffrance au point de ne plus entendre le cri de sa conscience. Mais cette guérison a pour prix la mort:"Ainsi de moi qui mourais paisiblement de ma guérison" page 113

  • Et le retour à la vie fera resurgir le malaise: "Il fallait vivre dans le malconfort". page 115

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