IV.
Savoir
puissance "pouvoir"
- Parce qu'elle
veut de l'ordre, son ordre et la conservation de son ordre, la
puissance pour s'exercer et se légitimer elle-même prend le
masque du pouvoir et utilise le savoir pour ses manœuvres. En
effet, représenter c'est connaître et connaître permet de
mettre de l'ordre par des interrogations, des enquêtes, des
mesures, des examens.
Savoir et pouvoir
sont de connivences pour se justifier: la puissance se plaît à répéter
que si l'action est nécessaire, déterminée, s'il en est ainsi,
ce serait une folie que de vouloir faire autrement. Au passage on
confond la forme et le contenu. Par exemple puisque la
mondialisation est nécessaire, c'est bien entendu ma forme de
mondialisation qui est nécessaire. Qui peut aller contre ce qui
est? Chaque fois que le savoir imagine une nécessité naturelle,
la puissance/pouvoir s'engouffre dans la brèche en suggérant que
la raison d'État est une nécessité naturelle qui légitime son
action: n'est-ce pas, tout simplement, mettre de l'ordre dans un désordre?
Mais, en confondant ce qui est avec ce qui doit être, la
puissance perd sa légitimité et se mêle en réalité au désordre
qu'elle prétend combattre: l'accumulation des injustices met des
adversaires sur le même plan, hors la loi.
Parce qu' il est
tyrannique, un tel pouvoir, finit par appeler désordre toute
forme de liberté qui le contrarie et confond ses décrets
particuliers avec la loi: or les décrets particuliers ont besoin
d'un ordre particulier que les lois ne peuvent donner. Alors la
puissance demande cet ordre particulier au savoir: le savoir ne
manque pas d'ordre parce qu'il apparaît chaque fois que, par des
représentations, des relations d'ordre sont imposées ou substituées
à la diversité des expériences. Il suffit alors de persuader
les prisonniers de la caverne que les "lois de la
nature", sont, contrairement aux lois humaines,
incontournables et qu'elles leur sont préférables: à la faveur
de cette confusion, on impose l'ordre du savoir à l'homme.
Bien entendu, on a mélangé le savoir et la science, ce qui
permet d'oublier que la science, n'étant qu'une suite d'erreurs
rectifiées, ne saurait fonder une suite de conduites justifiées
en morale. En attendant la prochaine rectification, le savoir
donne un empire qui permet d'ordonner tout jusqu'aux demeures des
individus et même la manière dont il serait bon qu'ils les
occupent sous peine d'être traités de sauvages ou de barbares
(voir les "cages à lapins" et les tours anciennes que
l'on finit par détruire).
C'est confondre la
valeur et l'être, l'ordre que la raison impose à tous
pour la recherche du bien commun et un bien commun qui n'est autre
que l'expression des préférences d'un ou plusieurs particuliers.
C'est la démesure d'un individu qui veut qu'on prenne sa mesure
comme mesure rationnelle et raisonnable. C'est oublier que l'ordre
que permet d'obtenir le savoir n'est qu'un ordre provisoire et mal
ajusté, de ce qui ne peut être alors ajusté que par fourberie,
cruauté, violence: cet ordre tient à l'usurpation du pouvoir par
un particulier qui l'utilise pour s'affirmer: on reconnaît une
telle puissance à sa fourberie et au fait qu'elle se réfère très
souvent à des morts qui ne peuvent protester.
Si la puissance
nourrit sa folie destructrice d'un pseudo-savoir, on comprendra
qu'elle nourrit à son tour un savoir, précisément, celui dont
elle a besoin pour s'exercer. Elle appelle à son secours la
mesure, l'enquête, l'examen pour représenter en s'éloignant le
plus possible de ce qu'elle représente, pour mettre un ordre,
qu'elle appelle justice, au nom d'une gestion déclarée nécessaire
parce que fondée sur le savoir. A ce compte l'individu n'est plus
rien, un zéro devant l'infini d'une puissance usurpée: une sélection
impitoyable finit par remplacer le peuple souverain par une
nosographie (description qui procède par classification)
Nous ne sommes
pas sortis de la caverne et nous
vivons dans un tissu social parcouru par la collusion entre le
pouvoir et le savoir, par la croyance en la science, comme si on
pouvait classer les individus grâce à une bibliothèque, bien
rangée: comme si l'horizon de l'individu n'était pas le Sujet
qui, tel Rousseau, ose fermer tous les livres pour devenir lui-même.
La classification
finit par rendre exsangue ce terreau, dénervé de tout contenu
dans lequel l'individu ne trouve plus le champ de sa vocation de
Sujet. C'est un peu la répétition de la fermeture de la
dialectique platonicienne par le formalisme des catégories. Et
plus personne ne s'étonne de l'existence de formulaires de
formulaires ou de taxes sur les taxes.
Et pourtant la
fragilité du pouvoir donné par les savoirs devrait nous inciter
à l'humilité et à plus de simplicité, à retourner humblement
à l'État de Droit, puisque nous incapable de mieux faire. Cela
permettra peut-être de donner tort à La Mettrie qui déplorait
"Le sort de l'humanité, d'être, pour ainsi dire, en d'aussi
mauvaise mains que les siennes!"
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