III.
Puissance et pouvoir
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La puissance est le pouvoir de dominer des hommes, d'obtenir d'eux
ce qu'ils n'auraient pas fait sans l'effet d'une puissance. Si on
comprend qu'une action d'un Sujet sur lui-même est non seulement
possible mais encore légitime puisque, ce faisant, il dispose de
sa liberté, l'exercice de la puissance sur autrui pose le problème
de sa possibilité et de sa légitimité:
-Pour certains le
pouvoir de dominer autrui s'enracinerait non dans celui qui domine
mais dans l'obéissance d'autrui qui, s'identifiant au maître,
aurait l'illusion de participer, à moindre frais, à l'exercice
du pouvoir. Cela rendrait le pouvoir possible et légitime, du même
coup, puisque celui qui obéit le ferait de son plein gré. Mais,
d'une aliénation, soumission à la volonté particulière d'un
autre, on ne tirera jamais la légitimité car ce qui contraint à
suivre ne peut être légitime si le caractère essentiel du légitime
c'est l'obligation à laquelle se conforme librement un sujet qui
devient son propre législateur. De la paresse et de la lâcheté
on ne déduira jamais l'autonomie, l'obéissance à la loi qu'on
s'est prescrite qui est liberté selon Rousseau.
-Pour d'autres le
pouvoir de dominer autrui s'enracinerait dans la croyance à la
valeur des coutumes fondées sur la tradition. Là encore, si
l'hypothèse déploie un processus qui rend possible la puissance,
elle ne la rend pas pour cela légitime puisque la tradition
tourne souvent au cauchemar pour les jeunes générations, comme
le remarque Marx:
de toutes façons l'aliénation, qui est ici le résultat d'un
contresens sur une tradition, à l'origine fruit d'une invention,
ne peut rien légitimer.
-Pour les amis de
la raison, l'État de Droit peut seul rendre possible et légitime
le pouvoir en le distinguant définitivement de la puissance: ce
qui rend possible le pouvoir c'est que chacun obéit en fait à
des lois, êtres de raison: en cela chaque Sujet, en s'obligeant,
obéit à la raison c'est à dire au meilleur de lui-même, au
commandement qu'il se serait adressé à lui-même en utilisant sa
raison. La liberté, comme autonomie, rend possible le pouvoir
parce que, chacun l'exerce en se maîtrisant et accède ainsi à
la liberté morale et politique.
Évidemment le
pouvoir devient, dans ce mouvement, légitime puisque ce qui le réalise
c'est la liberté de chacun qui reconnaît en reconnaissant la
loi, à la fois la nécessité rationnelle de son application et
ses limites: s'en tenir strictement à la fin, le bien commun,
pour laquelle elle a été institué. C'est donc la poursuite du
bien commun qui légitime la loi comme l'affirmait Thomas d'Aquin.
Hors du cadre strict
de l'État de Droit dans lequel on ne peut exercer une puissance
que par délégation ou service, puissance et pouvoir s'opposent
comme aliénation et liberté, comme l'injuste et le juste.
Celui qui exerce un pouvoir légitime ne "dispose" pas
du pouvoir mais participe à l'exercice du pouvoir comme serviteur
de la loi: il est donc tenu en droit à respecter l'égalité de
chacun et la liberté civile inscrite par la raison à l'origine
de toute loi. Ce qui signifie qu'il doit commander abstraitement,
indépendamment des particularités propres des individus, qu'ils
soient riches ou pauvre, qu'ils soient ses amis ou ses
adversaires: il ne peut utiliser par exemple l'argent public pour
écraser les uns et soutenir les autres, ou même leur faire
concurrence.
Celui qui, sous le masque du pouvoir, ne fait qu'exercer une
puissance pour favoriser les uns et défavoriser les autres, en
exerçant des préférences se conduit comme un despote, se met
hors l'État de Droit et trouve nécessairement sa perte dans une
course au prestige, en s'entourant d'esclaves et, comme une bougie
qui finit, en se noyant dans son propre aliment! c'est l'usure du
pouvoir qui en fait n'est que l'usure de la puissance et des excès
de la démesure.
Si la puissance est
souvent partagée entre coquins, toujours usurpée, le pouvoir ne
peut être partagé: il reste entier au dessus de tous, pour le
bien de tous: à tel et tel est confié son application pour
une tâche précise encadrée juridiquement: il n'est jamais donné,
c'est pour cela que les têtes les plus fières obéissent car, en
obéissant à la loi, ils n'obéissent à personne.
Mais il faut
maintenant descendre dans les cuisines du savoir et de la
puissance.