B)
Les formes sociales du travail.
Si
l'individu dans le travail qui lui est proposé est privé d'un ou
plusieurs éléments du processus, il est en même temps privé de
la liberté et de l'intelligence que manifestait cet élément. On
comprend que des formes "tronquées" du travail peuvent
être source de déshumanisation et d'aliénation?
-
Origine
du travail aliéné:
ce n'est plus le désir, la liberté, c'est le besoin, la nécessité,
la faim.
Si l'homme vend sa force de travail, il s'en dépossède et
renonce au désir puisqu'il renonce à ce qui pourrait réaliser
son désir: il est asservi à la satisfaction des besoins, après
le travail, grâce au salaire. En vendant sa force de travail
pour un salaire qui lui permettra de se nourrir et de
recommencer, l'individu se soumet à ses appétits, à ses
besoins, à la nécessité d'une nature: se nourrir.
-
La
division du travail,
la répartition des tâches, puis la décomposition des tâches
en éléments simples, singe le mécanisme naturel, le déterminisme,
un enchaînement de causes et d'effets avec pour conséquence
de confisquer à l'individu le pouvoir d'inventer.
La première figure du travail aliéné c'est qu'il
est inventé par un autre, avec l'exclusion de l'initiative,
de l'imagination, de l'usage de la raison.
-
La
réalisation
devient pour lui simple organisation du travail par un
autre, deuxième figure du travail aliéné, ce qui
marque l'asservissement de la tâche: enchaînement de gestes
devant un tapis roulant, monotonie, lutte perpétuelle et épuisante
pour faire attention malgré l'habitude et l'ennui: caissières
surveillées par la machine qui exige que tant de produits
soient "passés" à la minute, marquent bien la
disparition de l'initiative, de l'intelligence, comme si
l'individu n'était plus qu'un objet naturel qui suivrait des
lois.
-
Quant
au produit,
il sera payé selon la quantité de travail faite par
l'ouvrier. C'est la troisième figure du travail aliéné,
le produit profite à un autre. On lui expliquera,
dans le meilleur des cas, qu'il est impossible de lui donner
la part de l'inventeur, celle de l'organisateur, celle du
propriétaire des moyens de production etc... Reste, après
toutes ces soustractions, à lui payer ce geste machinal que
n'importe qui pourrait d'ailleurs faire à sa place avec à
l'horizon son remplacement par une machine asservie à une
intelligence artificielle.
Autant dire que le travail aliéné, creusant sa propre tombe,
disparaîtra.
Progrès quantitatifs nécessaires, amélioration des
conditions de vie de tous, disparition des famines dans le
monde du travail, tout cela, dont on ne peut contester la
valeur, a eu pour prix l'émiettement du travail car courir
d'une tâche à l'autre c'est une grande perte de temps.
C'est dire que la division ou mieux la séparation du travail
intellectuel et du travail manuel, avec pour conséquence
l'aliénation du travailleur manuel, a été le prix du progrès.
Mais qui déplore la disparition d'un tel travail?
D)
Des perspectives encourageantes pour le XXI ème
siècle.
Si
la page se tourne sur le travail en miettes (fait par les robots),
le travail ne disparaît pas: notre société reste centrée sur
le travail ce qui prouve bien qu'il a simplement changé de formes
et que les nouvelles figures qu'il manifeste expriment la liberté
et l'intelligence de l'homme.
Parce
qu'elle est orientée vers le progrès fondé sur la science et la
technique et qu'il n'y a pas de science et de technique sans des
individus, la société moderne reconnaît le travailleur comme un
fondement et valorise ses connaissances comme son expérience.
Ce qui intéresse, ce n'est pas la manière de travailler mais
l'utilité, le résultat de son travail. Il est donc considéré
du point de vue de sa fonction, au service du progrès, au service
de tous et d'abord de lui même. On attend de lui une autonomie
qui calcule les moyens d'un résultat: autant dire que le
travailleur contemporain peut récupérer, s'il le veut, sa marge
de manœuvre et la liberté de la réalisation. Voilà pourquoi il
importe peu qu'il travaille au sein d'une entreprise ou chez lui
(voir le développement du télétravail qui "économise"
dans certains cas, des heures de déplacement).
La
société moderne valorise donc l'efficacité, l'application, le sérieux
de la fonction et surtout la compétence:
valoriser la compétence c'est valoriser l'individu.
La compétence c'est d'abord le domaine dans lequel on a le droit
d'agir: cette liberté, dans des frontières, qui s'interdira
d'agir hors de son domaine. C'est une sorte de politesse, de maîtrise
de soi, de concentration sur un domaine qui est gage d'efficacité
et de responsabilité par rapport à ce qui a été confié.
La compétence c'est
donc la capacité de faire par soi même une tâche en tenant
compte de ce que les autres font.
Parce que la compétence n'est jamais définitive, tout individu
doit se recycler: mais qu'est-ce que se recycler sinon développer
sa culture, se rendre capable d'agir, développer sa liberté
d'action.
S'il
y a une grande espérance dans la jeunesse actuelle -l'épanouissement
dans la vie et donc dans le travail- on peut dire que de multiples
formes de travail, proposées, ou à inventer, assurent que cette
espérance peut être réalisée les efforts de la jeunesse font
pour acquérir des compétences.
Qui ne se réjouirait de voir se répandre cette autonomie
calculatrice qui permet à l'individu, au travailleur de se
débrouiller tout seul?
Qui croira que sans compétition loyale, il pourrait y avoir
justice et égalité?
Pistes
de lecture:
1776- Adam Smith, Recherches sur la nature et les causes de la
richesse des nations (Gallimard 1976).
1894- Marx, Le Capital, livre III.
1949- Sartre, "Matérialisme et révolution, dans Situations
III, (Gallimard page 197 à 199).
1990- M. Henry, Du communisme au capitalisme. (Éditions
Odile Jacob).
Quelques
citations:
"Le travail est l'activité médiatrice, qui consiste à
produire et à acquérir des moyens particularisés appropriés à
des besoins également particularisés." Hegel,
Principes de la philosophie du droit.
"Au moyen de quelques guillemets Sancho (= Stirner)
transforme ici "tous" (=tous les individus) en une
personne, la société en tant que personne, en tant que
sujet" Marx, L'idéologie allemande, Éditions Sociales
(p.233)
"Ce qui fait la valeur morale de la division du travail
... c'est que, par elle, l'individu, reprend conscience de son état
de dépendance vis à vis de la société" Durkheim, La
division de travail (p.396)
"Les micro-unités de travail, si elles constituent le
seul lot de l'ouvrier et de l'ouvrière, rivés à elles durant
des semaines, des mois, des années, ne peuvent être transfigurées
par la solidarité." Friedmann, Le travail en miettes
(p.140).
Des
citations: - Le
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