I.
Autour du mot. Société, individus, produit, échanges.
La
réalité:
- une
société c'est un ensemble d'individus qui travaillent et qui échangent.
Or travail signifie d'abord produit; en mécanique, de l'intensité
d'une force par le déplacement de son point d'application:
l'origine du produit c'est la force.
Dans le travail humain, l'origine de la force c'est l'individu; ce
qui revient à dire qu'il y a équivalence entre travail
subjectif, travail vivant, travail réel.
Échanger des produits c'est toujours échanger des produits du
travail: on échange des travaux. La valeur d'échange est mesurée
par la quantité de travail qui a produit un objet.
-
Il
est alors évident que c'est l'individu qui travaille et non la
société, que la valeur d'un objet est proportionnelle au travail
qu'il a nécessité: que deux objets peuvent être échangés
quand ils s'équivalent du point de vue de la quantité de travail
qu'ils contiennent.
La
difficulté:
-Tout
cela garde l'aspect du mystère parce que, effectivement, le
travail subjectif n'est pas mesurable puisqu'il est vécu par
l'individu et n'est pas connu comme un objet, détermination d'une
intuition sensible par un concept. Dès lors des conflits
peuvent naître quand il s'agira de fixer le prix d'un travail
subjectif et inobservable dans l'extériorité du produit, et par
conséquent lorsqu'il s'agira de répartir un produit entre les
travailleurs qui l'ont produit: chacun réclamera un juste prix du
travail fourni alors qu'il est le seul à en avoir ressenti
l'intensité.
II.
Le parcours.
A)
Le travail est, d'abord, un processus:
un ensemble d'éléments qui s'enchaînent parce qu'ils sont
organisés pour la production d'un monde humain, la transformation
d'une nature, d'un milieu donné. Suivons ce processus, du
désir, de l'invention d'une forme, de la réalisation, de
l'apparition d'un produit, et marquons ce qu'il signifie:
l'expression de la liberté et de l'intelligence de l'homme.
-
L'origine
du travail
c'est l'individu qui exerce sa liberté comme pouvoir de dire
non au milieu donné, de nier la présence, et d'exiger que ce
qui est absent devienne présent, de dire oui à ce qui n'est
pas encore: ce manque éprouvé c'est le désir
dans lequel la liberté de l'individu se pose, par lequel
l'individu se transforme en sujet, en projet, en capacité de
choisir une fin dans laquelle il se reconnaîtra. Alors que,
devant la sécheresse, l'animal fuit vers un lointain point
d'eau où l'attendent ses prédateurs, l'homme reste, refuse
le milieu et le transforme selon son désir, en amenant l'eau
là où il est, par un travail, par exemple un aqueduc.
-
L'invention
d'une forme.
Besoin et désir se conjuguent pour arracher l'homme à sa
paresse naturelle: imagination et raison, pouvoir d'évoquer
ce qui est absent et pouvoir de relier pour créer,
s'accordent dans l'invention d'une forme: c'est avoir une idée
comme forme intellectuelle d'un objet: concevoir ce qu'on ne
voit pas.
Par cette représentation mentale d'une forme
qu'il a créée, l'homme se distingue de l'abeille qui suit
machinalement un programme, un instinct. C'est ainsi que,
selon la profonde remarque de Marx, l'architecte le plus
mauvais a construit la cellule dans sa tête. En inventant une
forme qui est le moyen d'une fin l'individu manifeste sa
liberté et son intelligence comme capacité de trouver ou
d'inventer les moyens d'une fin.
-
La
réalisation.
c'est l'action de projeter, de réaliser à l'extérieur la
forme mentale intérieure. Dans la réalisation l'individu nie
à la fois le donné naturel intérieur (les appétits, les
distractions...), puisqu'il se maîtrise en faisant attention,
et le donné naturel extérieur, cette nature qu'il transforme
en monde du désir. Par l'attention, il éprouve et prouve son
"pouvoir moral"et par la production des outils il
utilise son intelligence, l'outil étant un moyen, un médiateur
entre lui et la nature.
Étant à la source du rythme de son action il échappe à
l'immédiat et accède à la conscience réfléchie.
-
Le
produit.
Enfin, l'apparition de la forme, le produit du travail marque
la fin du travail, de ce processus par lequel la conscience de
soi s'est projetée dans l'élément de la permanence. En
effet, dans son produit, l'homme découvre son humanité
puisque le produit se révèle universel, tourné vers tous,
utilisable par tout être humain: l'homme y reconnaît sa
liberté comme pouvoir de marquer la nature du sceau de son
humanité: il s'éprouve, rétrospectivement, comme une force
éclairée par l'intelligence et l'invention, comme une
origine et comme une liberté.
Concluons
cette première partie en affirmant que le processus du travail
libère du donné naturel intérieur ou extérieur en le niant,
qu'il est source d'humanité car il crée un monde commun
fondement de l'intersubjectivité, des produits utilisables par
tous à l'origine d'échanges, de relations: il exige des
recherches, des inventions, des expérimentations, une culture
produite puis enseignée.
Mais
où trouver cette forme idéale dans une société où le travail
est en miettes?
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