° Rubrique philo-poche 

Cours de  PHILOSOPHIE par J. Llapasset

Philo-poche  

Le travail    

La négation de la nature par l'homme un texte de Georges Bataille
 

  • I. Autour du mot.  Société,  individus,  produit,  échanges = page 1
    II. Le parcours = page 2

    III. La négation de la nature (G. Bataille) 

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Une analyse explicative 

"Je pose en principe un fait peu contestable: que l'homme est l'animal qui n'accepte pas simplement le donné naturel, qui le nie. Il change ainsi le monde extérieur naturel, il en tire des outils et des objets fabriqués qui composent un monde nouveau, le monde humain. L'homme parallèlement se nie lui-même, il s'éduque, il refuse par exemple de donner à la satisfaction de ses besoins animaux ce cours libre, auquel l'animal n'apporte pas de réserve. Il est nécessaire encore d'accorder que les deux négations que, d'une part, l'homme fait du monde donné et, d'autre part, de sa propre animalité, sont liées. Il ne nous appartient pas de donner une priorité à l'une ou à l'autre, de chercher si l'éducation (qui apparaît sous la forme des interdits religieux) est la conséquence du travail, ou le travail la conséquence d'une mutation morale. Mais en tant qu'il y a homme, il y a d'une part travail et de l'autre négation par interdits de l'animalité de l'homme." Georges Bataille, L'érotisme, 10/18

=> Faisons apparaître les termes qui marquent une liaison, un rapport avec d'autres éléments du texte (en gras dans le texte ci-dessus). Remarquons que ces termes marquent plus une juxtaposition que l'enchaînement d'une argumentation: c'est que Bataille s'appuie sur l'expérience plutôt que sur un raisonnement qui relierait le début du texte à sa conclusion. "Il ne nous appartient pas" signifie, nous n'avons de fait observable qui nous permettrait de répondre. Dès le début c'est un fait qu'il pose en principe.

=> L'analyse explicative s'efforce de déplier le sens, le mouvement, la "marche" du texte et d'éclairer son sens, sa signification, à partir de la détermination des concepts ou expressions.
Dans l'analyse explicative, vous n'hésiterez pas à commenter le texte ou à l'éclairer par une référence à la pensée d'un auteur. 

Par exemple: 

  Par une première affirmation, Bataille annonce qu'il fonde le mouvement du texte sur un "principe", un point de départ d'une suite, solide, parce qu'il n'est pas déduit. Un principe c'est pour Descartes une vérité de fait (l'existence est la première des vérités) à partir de laquelle on déduit tout un ensemble de vérités nouvelles: un "fait" porte en lui même sa preuve s'il est de l'ordre de l'expérience, de ce qui s'éprouve, de ce qui n'est pas fabriqué: c'est donner au principe un caractère absolu puisqu'il a sa raison d'être en soi, alors que la suite de la déduction sera relative, aura sa raison d'être hors d'elle, dans le principe, bien entendu si la déduction est rigoureuse.
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que l'homme est l'animal qui n'accepte pas simplement le donné naturel, qui le nie." Le principe distingue l'homme de l'animal: pour l'animal le donné naturel extérieur, pour le dire simplement le milieu, l'environnement, est suffisant. Il l'"accepte", prend pour satisfaire ses besoins ce qui lui est offert par les saisons, "simplement" c'est à dire sans faire de manières, sans se dédoubler, réfléchir, faire la fine bouche ou évoquer l'absence. (c'est mieux ailleurs dit le désir). Ce faisant l'animal satisfait ses besoins et ne désire pas. L'homme au contraire "nie" la nature extérieure, la refuse et la rejette. L'homme est désir et le désir se sépare du besoin, préfère à la présence de l'objet donné, l'absence d'un monde humain à inventer et à réaliser.
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Il change ainsi le monde extérieur naturel, il en tire des outils et des objets fabriqués qui composent un monde nouveau, le monde humain." Par "ainsi" l'auteur annonce l'explicitation du processus de négation: "changer" signifie effectivement rendre autre, donne un autre forme: grâce à ce que Bergson appelle la structure naturelle de l'homme, une intelligence fabricatrice, l'homme invente des instruments et donne à ses instruments la permanence en les fabriquant avec un matériau qu'il tire de la nature: le bois, le fer... Les instruments lui permettent de produire des objets fabriqués, une table par exemple dont la forme vient de sa conscience et la matière de la nature: comprenons que l'homme travaille et transforme la nature par son travail.
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L'homme parallèlement se nie lui-même, il s'éduque, il refuse par exemple de donner à la satisfaction de ses besoins animaux ce cours libre, auquel l'animal n apporte pas de réserve." Comme deux parallèles sont liées, suivent leur chemin en même temps, l'une n'allant pas sans l'autre, l'homme en même temps qu'il nie le donné naturel extérieur en travaillant se nie lui même, nie son donné naturel intérieur en refusant de se laisser aller à satisfaire ses besoins pendant qu'il travaille: cela revient souligne l'auteur à s'éduquer soi même, à s'élever au dessus de l'animalité en refusant de s'abandonner aux appétits pendant le temps du travail: il s'impose de ne pas manger, de ne pas boire, de ne pas dormir, ce qui suppose qu'il ait mangé, qu'il ait bu, qu'il ait dormi selon un rythme qu'il s'est fixé et auquel il a obéi, premier pas vers l'autonomie d'un sujet. Le "s" de s'éduquer est capital: c'est l'homme qui s'éduque, c'est l'homme qui se libère: la liberté ne se donne pas, elle se prend.
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Il est nécessaire encore d'accorder que les deux négations que, d'une part, l'homme fait du monde donné et, d'autre part, de sa propre animalité, sont liées." Est nécessaire ce qui ne peut pas ne pas être. Si les deux négations sont liées c'est que l'une ne va pas sans l'autre: comment travailler à modifier la nature extérieure si on n'est pas capable de faire attention à ce qu'on fait? Comment faire attention à ce qu'on fait si on ne s'y est pas exercé en travaillant? c'est un peu l'histoire de la poule et de
l'œuf.
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Il ne nous appartient pas de donner une priorité à l'une ou à l'autre, de chercher si l'éducation (qui apparaît sous la forme des interdits religieux) est la conséquence du travail, ou le travail la conséquence d'une mutation morale." La voiture qui avait la "priorité" est passée en premier. Par quoi l'homme a-t-il commencé? Qu'est-ce qui est venu en premier, une mutation morale ou changement brusque grâce auquel l'homme est parvenu à se dominer et alors il a pu travailler ou le travail, venu en premier qui aurait exercé l'attention? L'auteur refuse de répondre parce que d'une part il est difficile de concevoir l'une des deux négations sans l'autre comme si chacune était la condition de possibilité de l'autre, et que d'autre part il n'y a aucun donné historique sur le devenir passé réel de l'humanité, sur le passage de la nature à la culture, du besoin au désir. Bataille se trouve dans les mêmes conditions que Rousseau quand il réfléchit sur l'origine des langues: une langue en effet, pour être constituée exige que l'homme parle.

[Ne pourrait-on pas dire que le travail naît de cette puissance d'altérité (vouloir être autrement et vouloir être ailleurs) qu'est l'existence comme désir, que le désir lui même naît d'une manque éprouvé, et que la forme de ce qui n'est pas donné, comme pensée intérieure à l'architecte, est la condition de possibilité du travail? L'attention serait née d'une déception par le milieu, d'une conversion vers l'imaginaire, d'une attention à autre chose que le besoin, ce qui est la première marche d'une conversion morale par laquelle le sujet se détourne de la satisfaction immédiate de ses appétits. La priorité reviendrait donc bien au développement de la possibilité de prêter attention à autre chose que les appétits, ce qui revient à préférer le désir au besoin, l'absence à la présence, à s'élever au-dessus des appétits sensibles. On se trouve au premier barreau de l'échelle de Jacob. (attention , mémorisation, combinaison, invention)]

"Mais en tant qu'il y a homme, il y a d'une part travail et de l'autre négation par interdits de l'animalité de l'homme." reste que la dernière phrase est bien l'aboutissement du mouvement suivi par le texte: poser l'homme dans l'existence c'est poser le travail et le refus par l'homme d'une animalité qui, en le repliant sur lui-même, le réduirait à une programmation naturelle. Bataille relie ce refus de l'animalité à des interdits, ou à la prohibition de certains actes, qu'il qualifie plus haut de religieux comme si, par exemple, la prohibition de l'inceste marquait le passage de la nature à la culture, dans le refus d'une satisfaction donnée, présente, pour une satisfaction conquise sur une distance par une relation qui fonde l'humanité.

=> Vers Rubrique Philo: Étude de texte

  • Le travail:
    I. Autour du mot.  Société,  individus,  produit,  échanges = page 1
    II. Le parcours = page 2

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