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Gilles Deleuze
Les conditions de la question: qu'est-ce que la philosophie ?
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__________________ La philosophie ne contemple pas, ne réfléchit pas, ne communique pas, bien quelle ait à créer des concepts de ces actions ou passions. La contemplation, la réflexion, la communication ne sont pas des disciplines, mais des machines à constituer des Universaux dans toutes les disciplines. Les Universaux de contemplation, puis de réflexion, sont comme les deux illusions que la philosophie a déjà parcourues dans son rêve de dominer les autres disciplines (idéalisme objectif et idéalisme subjectif), et la philosophie ne shonore pas en se rabattant maintenant sur des universaux de la communication qui lui donneraient une maîtrise imaginaire des marchés et des médias (idéalisme intersubjectif). Toute création est singulière, et le concept comme création proprement philosophique est toujours une singularité. Le premier principe de la philosophie est que les Universaux nexpliquent rien, ils doivent être eux-mêmes expliqués. On peut considérer comme décisive cette définition de la philosophie, connaissance par purs concepts mais tombe le verdict nietzschéen vous ne connaîtrez rien par concepts, si vous ne les avez dabord créés Philosopher, cest créer des concepts. Les grands philosophes sont donc très rares. Se connaître soi-même apprendre à penser faire comme si rien nallait de soi sétonner, " sétonner que létant est , ces déterminations de la philosophie et beaucoup dautres forment des attitudes intéressantes, quoique lassantes à la longue, mais ne constituent pas une occupation bien définie, une véritable activité, même dun point de vue pédagogique. Créer des concepts, au moins, cest faire quelque chose. La question de lusage ou de lutilité de la philosophie, ou même de sa nocivité, doit en être changée. Beaucoup de problèmes se pressent sous les yeux hallucinés dun vieil homme qui verrait saffronter toute sorte de concepts philosophiques et de personnages conceptuels. Et dabord, ces concepts sont et restent signés, substance dAristote, cogito de Descartes, monade de Leibniz, condition de Kant, puissance de Schelling, durée de Bergson Mais aussi, certains réclament un mot extraordinaire, parfois barbare ou choquant, qui doit les désigner, tandis que dautres se contentent dun mot courant très ordinaire qui se gonfle dharmoniques si lointaines quelles risquent dêtre imperceptibles à une oreille non philosophique. Certains sollicitent des archaïsmes, dautres des néologismes, traversés dexercices étymologiques presque fous létymologie comme athlétisme proprement philosophique. Il doit y avoir dans chaque cas une étrange nécessité de ces mots et de leur choix, comme élément de style. Le baptême du concept sollicite un goût proprement philosophique qui procède avec violence ou avec insinuation, et qui constitue dans la langue une langue de la philosophie, non seulement un vocabulaire, mais une syntaxe atteignant au sublime ou à une grande beauté. Or, quoique datés, signés et baptisés, les concepts ont leur manière de ne pas mourir, et pourtant sont soumis à des contraintes de renouvellement, de remplacement, de mutation qui donnent à la philosophie une histoire et aussi une géographie agitées, dont chaque moment, chaque lieu se conservent, mais dans le temps, et passent, mais en dehors du temps. Si les concepts ne cessent pas de changer, on demandera quelle unité demeure pour les philosophies. Est-ce la même chose pour les sciences, pour les arts, qui ne procèdent pas par concepts Et quen est-il de leur histoire respective Si la philosophie est cette création continuée de concepts, on demandera évidemment ce quest un concept comme Idée philosophique, mais aussi en quoi consistent les autres Idées créatrices qui ne sont pas des concepts qui reviennent aux sciences et aux arts, qui ont leur propre histoire et leur propre devenir, et leurs propres rapports variables entre elles et avec la philosophie. Lexclusivité de la création des concepts assure à la philosophie une fonction, mais ne lui donne aucune prééminence, aucun privilège, tant il y a dautres façons de penser et de créer, dautres modes didéation qui nont pas à passer par les concepts, à commencer par la pensée scientifique. Et lon reviendra toujours à la question de savoir à quoi sert cette activité de créer des concepts, telle quelle se différencie de lactivité scientifique ou artistique pourquoi faut-il créer des concepts, et toujours de nouveaux concepts, sous quelle nécessité, à quel usage Pour quoi faire La réponse daprès laquelle la grandeur de la philosophie serait justement de ne servir à rien est une stupide coquetterie. En tout cas, nous navons jamais eu de problème concernant la mort de la métaphysique ou le dépassement de la philosophie ce sont dinutiles, de pénibles radotages. On parle de la faillite des systèmes aujourdhui, alors que cest seulement le concept de système qui a changé. Sil y a lieu et temps de créer des concepts, lopération qui y procède sappellera toujours philosophie, ou ne sen distinguerait même pas si on lui donnait un autre nom. La philosophie céderait volontiers la place à toute autre discipline qui remplirait mieux la fonction de créer des concepts, mais tant que la fonction subsiste, elle sappelle encore philosophie, toujours philosophie. Page suivante: la philosophie ° Rubrique philo-fac http://www.philagora.net/philo-fac/ |