1- "Un
homme mesuré, lorsque dans son récit il tombe sur quelque
expression ou action d'un homme de bien, consentira à prendre
la parole comme s'il était cet homme-là, et il n'aura pas
honte de cette imitation, surtout s'il imite cet homme bon
dans une action ferme et sensée." La
République III, 396
c
Hibou: Qu'est-ce que cela nous dit de mesure et démesure
d'après vous?
Sophie: Je vois chez l'homme mesuré l'action de
l'intelligence: il est équilibré et capable de faire la
distinction entre le bien et le mal et donc de n'imiter qu'à
bon escient: l'homme mesuré a une intelligence orientée vers
le bien et vers le vrai.
Voilà pour la mesure.
Max: Pour ce qui est de la démesure j'imagine quelqu'un qui
imiterait n'importe qui et n'importe quoi, le sage comme le
fou, le malade, le passionné au point de tomber dans
l'indignité: autrement dit, le dernier qui a parlé a raison.
Hibou: C'est clair.
2- "Il
semble donc que si un homme capable par son talent de se
transformer de mille manières et d'imiter toutes sortes de
choses venait en personne dans notre cité avec le projet d'y
représenter ses compositions poétiques ... nous lui dirions
... qu'il n'y a pas d'homme comme lui dans notre cité, et
qu'il n'est pas conforme à la loi qu'il s'y intègre."
La
République III, 398
a
Rémi: On le chasse avec de beaux discours ... C'est la conséquence
de sa démesure.
3- "Ainsi
l'excellence du discours et de l'harmonie, la grâce du geste
et du rythme découlent de l'excellence du caractère (=le
support de la vertu, c'est à dire la réflexion dirigée vers
le beau et le bien précise Leroux),
non de ce que nous désignons ainsi par euphémisme et qui
n'est qu'absence de réflexion, mais au contraire de cette réflexion
authentique d'un caractère où s'allient le bien et le beau."
La
République III, 400
e
Sophie: Je comprends qu'il ne s'agit pas d'un trait de caractère
mais de l'activité de l'intelligence réflexive orientée
vers le bien, ce à quoi il ne manque rien.
Rémi: C'est dire que la mesure découle de la réflexion qui
ajuste un discours à ce qui est , et l'enchaîne dans
l'harmonie et le rythme.
Hibou: en 404 e, on retrouve une opposition entre la démesure
qui est toujours multiplicité à l'infini et la mesure qui
est toujours rapportée à l'unité:
"... Ici la variété engendre l'indiscipline, là
elle engendre la maladie tandis que la simplicité dans la
musique engendre la modération dans l'âme, et dans la
gymnastique elle produit la santé pour le corps." La
République III, 404
e
4- "N'as-tu
pas remarqué à quelle disposition d'esprit parviennent ceux
qui passent leur vie à pratiquer la gymnastique sans toucher
à la musique...? ou alors la disposition d'esprit de ceux qui
font l'inverse?" La
République III, 411
a
Hibou: Quelle serait la disposition d'esprit de ceux qui ne se
consacreraient qu'à la gymnastique? Sans aucune mesure?
Oui-oui: Ils deviendraient des sauvages, des brutes violentes.
Hibou: Quelle serait la disposition d'esprit de ceux qui ne se
consacreraient qu'à la poésie ou à la musique?
Sophie: Ils deviendraient des mous.
Hibou: Platon veut nous faire comprendre qu'il y a des qualités
dans la gymnastique et dans la poésie ou la musique mais que ces
qualités n'apparaissent que par l'éducation c'est
à dire l'intervention de l'intelligence qui équilibre la
partie courageuse et la douceur, qui donne sa place à chacune
tant et si bien que celui qui est bien élevé sera doux et
ordonné: la brutalité naturelle par l'éducation devient
courage dirigé par la pensée tandis que la mollesse
deviendra douceur. C'est dire que c'est l'intelligence qui
mesure, qui harmonise et transforme l'ardeur en ardeur morale
et le désir de savoir en désir de vérité. Platon peut
alors conclure:
"Ainsi, celui qui mêle la gymnastique et la musique
dans le plus bel ensemble et qui les applique à son âme avec
le plus de mesure, celui-là c'est à bon droit que nous le déclarerons
parfait musicien.
(= parfaitement
cultivé)" La
République III, 412
a
Au livre IV de La
République en 423 e
on trouve: "Car s'ils sont bien éduqués et qu'ils
deviennent des hommes mesurés ..."
La coordination (et) met sur le même plan la formation morale
et l'éducation: dans les deux cas il s'agit que
l'intelligence gouverne.
D'après vous
qu'est-ce qu'on peut tirer de ces citations pour le thème mesure
et démesure qui nous occupe?
Sophie: D'abord, peut-être, que l'âme, lorsqu'elle porte un
jugement doit toujours se préoccuper de la mesure et être en
accord avec elle.
Rémi: Il me semble que l'imitation ne se justifie que chez
celui qui sait distinguer le bien du mal et qui a un sens aigu
de sa dignité.
Max: Il faut reconnaître une grande importance à l'éducation
de l'âme et du corps: l'harmonie a pour origine
l'intelligence qui donne à chacun la place qui lui convient
et qui empêche la partie courageuse de se prendre pour une
fin et les désirs de commander, de devenir tyranniques.
Oui-oui: N'y a t-il pas un risque d'inégalité naturelle mis
en évidence par Platon? Car si le commandement appartient
surtout à l'intelligence, si c'est elle qui doit commander,
que feront nous de ceux qui seront rebelles à la mesure, à
la juste mesure de ceux chez qui la partie courageuse ou les désirs
fous commandent? Celui qui refuse la maïeutique qu'en
fera-t-on?
Hibou: Ton intervention nous oriente et nous prépare à
comprendre le souci de réglementation que nous trouverons
dans la dernière oeuvre de Platon, Les lois. Lorsque
la maïeutique échoue, il n'y a que la contrainte qui puisse
imposer une mesure, de l'extérieur, à la démesure de la
violence et à la démesure des désirs, aux passions. C'est
faire disparaître la liberté naturelle à des gens
incapables d'accéder à l'autonomie!
Il y aurait donc pour Platon un naturel philosophe,
une sorte de grâce divine donnée à quelques uns qui les prédispose
à se commander à eux-mêmes s'ils sont bien éduqués et à
commander aux autres.
Si la juste
mesure est bien la condition de toute politique juste (Dixsaut),
alors l'intelligence qui est juste mesure commandera: c'est
une manière d'ajuster la politique à ce qui est: pour
Platon, ce n'est pas l'homme qui est la mesure de toute chose
mais c'est Dieu, intelligence créatrice.
"C'est donc Dieu qui serait pour nous au plus haut
degré la mesure de toute chose, et lui bien plutôt ... que
ne l'est tel ou tel homme." Platon, Les Lois, 716
c
Demain nous
parlerons du prélude de Gorgias, si Oui-oui
n'a pas une meilleure idée.... |