I.
Autour du mot: L'expérience
-
Par la mémoire notre expérience
s'accroît, avec la durée, un peu comme un patrimoine, de ce que
nous voyons, sentons, entendons, goûtons, touchons, par la médiation
du corps: ce patrimoine porte nécessairement la marque du
sensible, du particulier, de la partialité du choix spontané ou
volontaire de la conscience pour qui "l'environnement se
découpe selon l'être de l'organisme" (Goldstein). Le
propre de l'expérience sensible c'est que nous croyons la découvrir
alors même que nous en sommes les architectes et qu'aucun idéal
rationnel qui l'aurait ordonnée ne lui préexiste: c'est une
surprise sur laquelle nous pouvons revenir mais ce ne sera jamais
une réponse à une question, la confirmation ou l'infirmation
d'une prévision.
-
L'expérience ne sera donc pas
confondue avec l'expérimentation: l'expérimentation est inséparable
d'un calcul, d'une prévision, parce que c'est le calcul qui la
rend possible.
Voilà
pourquoi on propose une notion à double tête (théorie et expérience)
parce qu'il est impossible de séparer la théorie et l'expérimentation.
Au sens strict, la notion théorie et expérience est donc mal
formulée: il faut lire théorie et expérimentation. Mais la
formulation nous obligera à parler aussi de l'expérience
sensible.
II. La notion
-
L'expérience
sensible varie en fonction du sujet (les uns ouvrent les fenêtres,
les autres les ferment). L'image -ou forme sensible d'un objet- ne
renvoie qu'à elle-même c'est à dire à une vision colorée par
l'affectivité, les croyances, les habitudes, les connotations des
mots, qui produisent un monde tel que je suis et non tel qu'il
est: dire que la lumière éclaire c'est parler de soi, d'un
effet. On peut bien voir plusieurs sources lumineuses, leur
structure n'apparaît pas dans l'expérience sensible et l'effort
pour les unifier reviendra toujours à leur attribuer une caractéristique
du sujet (elles éclairent) et non de l'objet. Croire que l'on
ouvre la porte du laboratoire pour "observer la nature"
c'est se préparer à bien des déceptions au point que Bachelard
affirme que les difficultés de compréhension en physique
viennent chaque fois que nous restons accrochés à l'expérience
sensible qui ne permet jamais de déduire autre chose que la
diversité d'un animisme naïf: la planche nage, ou même résiste
si on essaie de l'enfoncer dans l'eau.
-
L'expérience
sensible parce qu'elle n'est jamais pure réceptivité mais
projection dans un monde d'un sujet constructeur porte la marque
d'une activité qui ordonne une réceptivité: mais cette activité,
constructrice d'un monde d'objets dans lequel le sujet ne retrouve
que ce qu'il y a mis, ne s'apparaît pas à elle-même en tant
qu'activité: elle est spontanéité.
|