I.
Autour du mot.
Comme
acte de transcendance qui s'éprouve soi-même la perception est
en cela marquée du sceau de l'originalité: par la perception
nous avons accès à ce qu'il y a, toute perception est donation.
Parce
qu'elle implique une intuition sensible, la perception n'est pas
un acte de pensée qui s'élève vers ce à quoi
rien de sensible ne correspond: nous ne saurions la réduire au sentiment,
à ce qui s'éprouve soi même, puisqu'elle est ouverture dans un
trou de lumière à autre chose qu'elle qui est manifesté ici
et maintenant dans la présence: il faut donc bien la
distinguer du souvenir ou de l'image,
de ce qui relève de l'absence.
Ne
confondons pas la perception avec le modèle
conçu par une pensée qui, en soumettant la perception aux
catégories du sujet et de l'objet du vécu et de l'étendu, se
condamne par là à ne jamais pouvoir concilier une perception qui
se fait dans le monde et celle qui se fait en nous. Plaquer une
conception de la réalité (sujet / objet; vécu / étendu) sur ce
qui permet d'accéder à la réalité reviendrait à occulter
définitivement la possibilité d'accéder à ce qui est cherché.
L'architecte d'un objet se condamne à ne retrouver que ce qu'il y
a mis par des déterminations a priori et toujours précipitées,
le triomphe d'un "survol" mal ajusté. La perception
n'est ni une apparence ni une image ni un signe.
Il
ne s'agit pas de penser la perception mais de penser à son
école, pour ainsi dire. Parce qu'elle est accès à,
donation, la perception n'est ni une apparence, ni une image, ni
un signe, car ces trois termes renvoient à autre chose qu'eux
alors que la donation renvoie à elle: l'accès au
"il y a".
II.
Le parcours.
Disons tout
d'abord pour éviter tout contresens, que "per"
ne signifie pas ici à travers mais parfaitement, complètement.
"ception" a pour origine "capere" (= prendre).
Percevoir
désigne, classiquement, une action pleinement achevée qui
consiste à s'emparer de, au sens de recevoir, prendre
connaissance de quelque chose d'extérieur par les sens, de ce
qu'il y a ici et maintenant:
Exemple: Je
vois un arbre.
La caractéristique de la perception est d'être immédiatement
externe: par elle nous accédons à la signification: il y a un
arbre. C'est donc par elle que la réalité de l'être nous
apparaît. Percevoir c'est être immédiatement hors de soi et du
même coup présent à soi.
C'est
dire avec l'incontournable Bergson de "Matière et
mémoire" que notre perception est originairement dans
les choses "plutôt que dans l'esprit, hors de nous plutôt
qu'en nous." (page 246). Mais cela ne signifie pas que nous
ne soyons pas avec elle, que nous ne l'accompagnions pas: la
présence à soi, l'épreuve de soi, est la condition sans
laquelle ce mouvement d'accès à la réalité ne serait pas pour
la conscience qui l' effectue.
=
Dire que la perception est le résultat d'une construction,
c'est la confondre avec l'oeuvre de l'entendement qui,
certes, lui apporte beaucoup mais ne saurait la générer.
=
Dire que la perception est une reconnaissance,
une occasion de se ressouvenir, c'est la confondre avec la
mémoire qui lui ajoute beaucoup mais à la manière d'une parure
qui serait vanité sans le corps qu'elle revêt.
=
Dire que la perception est imagination ... ou hallucination, c'est
la confondre avec ce qui la remplace, ce qui la provoque, ce qui
l'auréole, mais ne saurait en tenir lieu: comment l'absence
pourrait-elle donner autre chose que l'absence? Or la perception
est donation de la présence.
Par
l'entendement, la mémoire, l'imagination, l'esprit collabore à
l'objectivité de plus en plus définie d'une représentation.
Mais sans une matière que donne une perception originaire cette
activité de l'entendement ne saurait s'exercer.
Cela
signifie que la représentation n'est identique à la perception
que pour un idéalisme absolu et impénitent qui confond la
réalité et sa conception de la réalité. Cela revient à
identifier la représentation et l'être et à se passer de la
perception. Pourtant toute perception rappelle à l'idéaliste son
incarnation et par là la nécessité de limiter son idéalisme.
Enfin,
même si toute langue implique une conception du monde la
perception ne saurait être réduite à un pré découpage de
l'environnement qui n'intéresse que la représentation
élaborée, par exemple le spectre des couleurs, avec plus ou
moins de finesse: que je découpe l'environnement ne signifie pas
que, en deçà de ce découpage linguistique,je n'accède pas à
monde commun selon une perception originaire qui met en présence
d'une chose, qui la donne dans sa réalité même si ce n'est
jamais dans sa totalité.
Toute
ces tentatives de réduction nous détournent de la
perception et nous détournent donc de notre enquête sur
la perception: dans un survol elles croient saisir une
réalité alors qu'elles la remplacent par un objet
artificiellement construit: puis elle se vantent de
retrouver dans cet objet ce qu'elles y ont mis: enfin,
emportées dans un tel mouvement ces tentatives
aboutissent à la définition a priori
d'une perception parfaite: en effet la déduction triomphe
puisqu'on tire tous les éléments qu'on a préalablement
introduits dans la définition: prendre complètement.
Mais la perception n'a
même pas été reconnue ...
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