III.
Reconnaître
la perception.
Reconnaître la
perception c'est tenter de la saisir comme perception originaire,
en deçà du "bricolage" qui l'a transfigurée en
représentation déterminée: une reconnaissance qui laisse être
au lieu de déterminer par concept.
= Si toute
perception est perception d'une chose, cela ne signifie pas que la
chose soit donnée entièrement: loin d'être une possession la
perception est dans le même mouvement la présentation de ce qui
se dérobe de manière indéfinie.
La théorie des esquisses de Husserl permet de le comprendre.
Je vois une
table.
L'esquisse me présente une table sous un certain aspect, un point
de vue: autant dire qu'elle révèle la présence de la table
elle-même mais que, comme elle n'en révèle qu'un aspect, cet
aspect voile du même coup les autres aspects de la table: parce
que la chose est dans le trou de lumière, à distance, elle ne
saurait jamais être pleinement rejointe puisqu'elle est
transcendante par rapport à des vécus et qu'elle ne peut se
donner que partiellement en se dérobant, en différant sans cesse
cette représentation déterminée, cette prise totale de la table
qui permettrait de se l'approprier pour ainsi dire. Me voilà donc
très proche et très loin de la table, comme dans un mouvement
qui se rapprocherait en s'éloignant, celui que suggère
magnifiquement Mallarmé dans "La fenêtre"
le poète a toujours raison.
= Il devient
impossible de parler d'une perception introuvable, car on ne peut
plus réduire la perception à autre chose qu'elle: la sensation
ou la construction. Toute perception , étant perception d'une
chose , est intentionnalité, acte de transcendance qui ouvre un
horizon, qui vise à travers des sensations diverses la chose elle
même, la chose ne se laissant jamais prendre dans sa totalité:
la distance creusée par l'intentionnalité ne saurait être
franchie par une autre intentionnalité: l'esquisse appartient
bien à l'être de l'intentionnalité, ce qui revient à
identifier la perception avec l'acte d'une conscience.
= Reconnaître
la perception ce n'est pas nier la collaboration de l'imagination,
de la mémoire et de l'entendement, c'est mettre à jour,en deçà
de ces élaborations,que celui qui perçoit juge que l'objet est
distinct de lui et connu par lui, et ce, immédiatement.
On ne peut parler
de connaissance qu'au sens de naissance avec: percevoir
c'est naître avec et cela relève d'abord de la
contemporanéité d'une naissance commune que d'une possession
triomphante.
Avec une
hypothétique perception pure, on obtient un monde commun mais
est-ce un monde humain? Dans l'inconscience des surgissements
l'objet et le sujet se perdent avec le risque de voir ressurgir le
panthéisme. La philosophie risque de laisser la place à la
littérature ou à la musique.
Dépouillée
de ses parures, réduite à elle même, la perception
originaire est pauvreté qui rêve de richesse,
contingence qui se voudrait nécessité, donation dans la
soif, présence indubitable qui se dérobe: tout cela
livré à une existence qui rêve de s'accrocher à un ici
et un maintenant toujours en fuite.
Par
essence, c'est l'être qui ne peut se donner que
partiellement dans l'unité première d'une présence qui
se déploie nécessairement sur un fond d'absence. Jamais
la perception ne pourra donner la chose dans sa totalité
puisque l'esquisse, parce qu'elle est esquisse, creuse
toujours une absence et donc une soif.
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Voir Quand
nous percevons, comment savons-nous que nous ne rêvons pas?
(une aide à la dissertation)