De quoi s'agit-il? Puisque de toutes façons la fonction
enseignante s'exerce, se vit immédiatement, il s'agit de prendre
conscience d'elle pour l'utiliser et ne pas être emporté par elle là
où le médecin ne pensait pas et ne voulait aller.
Qu'est-ce qui doit être pris en compte : un certain fanatisme,
ce redoutable amour de la vérité, de sa vérité. Non seulement le
médecin qui n'a pas pris conscience de sa fonction apostolique
enseignante ne l'utilise pas pour que le patient advienne à soi, mais
encore en considérant comme son devoir de convertir à sa foi "tous
les ignorants et le mécréants qui pourraient se trouver parmi ses
patients" (page 150), il cherche inconsciemment à réduire la part
d'initiative et d'originalité du patient, sans laquelle il n'y aura pas
de guérison. Autant dire que son aveuglement est dans un premier temps
celui du fanatique.
Qu'est-ce que prendre en compte? C'est d'abord se reconnaître avec
la sorte d'équipement que nous apportons dans toute rencontre et qui nous
rend aveugle à la personne rencontrée. C'est du même coup se mettre en
état de prendre en compte cela et de le soustraire par un effort de la
volonté éclairée par l'intelligence. S'il y a par exemple découverte
par le médecin d'une relation causale entre son enseignement et le mode
de vie du patient, cela l'engage à la plus grande prudence dans ses
propos, ses expressions, ses allusions, ses réactions: il pourra, par
exemple les purger de tout discours relevant d'une morale propre.
Un exemple de prudence? Est-il souhaitable de contraindre les
malades à passer nécessairement par le même médecin généraliste: le
rationnel est-il toujours raisonnable? Cela ne risque-t-il pas
d'encourager l'exercice de cette causalité particulière
puisque l'Idée (l'idée force du médecin) varie selon le médecin. Ne
saurait-il pas plus sain de laisser le patient, celui qui supporte, libre
de multiplier les influences pour pouvoir en choisissant se choisir?
Un problème: comment amener l'étudiant à distinguer ce qui
relève de l'intuition et ce qui relève du discours, si le discours est
vraiment guidé par l'intuition?
Les confondre reviendrait en effet à tomber dans le fanatisme qui
mélange toujours un discours discursif avec la révélation
intuitive donnée dans un "contact bref et dramatique" (Cf:
Balint, Norelle, Six minutes par patient, Payot, chapitre II, page
51).
Comprendre que le "flash" dans l'intuition ne donne qu'une
présentation partielle de la difficulté du patient et donc qu'il ne
saurait dispenser de la discursivité obtenue par l'étude du patient dans
une relation inscrite dans la durée.
Perspectives: Reste que, l'émergence, dans l'idée claire et
distincte du médecin, de sa fonction apostolique et de son rôle
d'enseignement ne peut qu'alerter le médecin sur le risque qu'il y aurait
à ne pas pénétrer cette fonction de réflexion et de prudence, et aussi
de cette humilité qui est vérité. Dans le dialogue il s'agit plus de
partager la recherche de la vérité que de construire l'autre comme objet
dans lequel chacun ne retrouverait que ce qu'il y a mis (voir la fonction
iatrogène).
- Dans le
"groupe Balint", la rencontre de l'autre est souvent l'occasion
de se réapproprier ce qu'on projetait sur l'autre et de prendre en
compte, du même coup, cette construction. C'est aussi l'occasion de
libérer l'autre en cessant d'être sourd et aveugle au sens de sa
recherche.
En un certain sens ce qu'on ignore, on le sait déjà et cela oriente
l'étude, ce qu'on sait, on l'ignore tant qu'on ne l'a pas cherché dirait
Platon aux jeunes médecins en formation: ce qu'on ignore on le cherche
par l'étude patiente et discursive du malade: il ne s'agit de l'orienter
par une précompréhension définitive quand il ouvre la porte du cabinet
de consultation, mais de l'accompagner et de l'éclairer dans son propre
cheminement, dans une meilleure appréhension des difficultés avec
lesquelles il se débat vers une renonciation délibérée à ce qu'il y a
d'impossible dans sa demande et dont il a beaucoup de peine à se
déprendre.
* Groupe Balint:
rencontre régulière d'un groupe de médecins soucieux de se
former. L'un d'eux expose une difficulté (un cas difficile) et le
groupe se met à vivre en échangeant. (Nous reviendrons dans les
prochaines pages sur ces très intéressantes expérimentations dans
le cadre de la formation post universitaire). |
Joseph
Llapasset ©
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