En grec iatros
signifie médecin, gène signifie qui
a pour origine: la maladie iatrogène c'est la maladie provoquée par le
médecin!
Quelle mésaventure: rendre malade celui qui vient pour être guéri!
Qu'une telle expression paraisse immédiatement insensée ne signifie pas
qu'elle soit le pur fruit de l'imagination. Tous les "actes
manqués" paraissent insensé et pourtant il est possible d'en
retrouver le sens: il est insensé que le Président d'un tribunal
annonce: la séance est levée, au lieu la séance est ouverte. Mais ...
s'il appréhende particulièrement la séance qui va débuter, alors on
peut retrouver le sens de ce qu'il dit.
Reste que le paradoxe est éclatant, d'une maladie provoquée par un
médecin. On comprend que le médecin échoue dans sa tâche mais on ne
comprend pas comment il pourrait en arriver à ce degré d'aberration,
d'éloignement de la réalité: inventer une maladie, faire croire à sa
réalité, lui dont tout l'effort conscient porte sur la découverte d'une
maladie. Comment peut on glisser de l'effort pour découvrir ce qui existe
à l'invention et à la croyance ferme à l'existence de ce qui n'existe
pas?
Pour ne pas
succomber à une réaction d'indignation et d'incompréhension devant
l'expression "la maladie iatrogène", notre tâche devra être
la mise en évidence du processus d'invention de la maladie iatrogène et
de ses conditions: ces dernières conditions se révèleront tenir à une
complicité du malade et du médecin.
La double contrainte rend "fou" et le malade fait
bien peser une double contrainte sur le médecin.
- D'un côté, en lui adressant par la parole un pseudo symptôme
qui en réalité n'est qu'un signe, il recherche une compréhension non de
sa maladie mais de sa souffrance d'être raisonnable sensiblement
affecté, déchiré. Mais une partie du sens de sa recherche échappe au
consultant lui même et son confort exige de ne pas recevoir la vérité
en pleine figure au détour de la consultation.
- D'où le second côté, contradictoire du premier: le patient exige la
découverte d'un dérèglement organique qui fera de lui ce
"malade" reconnu comme malade par la société qui
délègue le médecin comme un juge. Il faut bien voir que celui qui
consulte craint toujours d'être jugé comme un malade imaginaire ou comme
un malade "mental", ce qui représente pour lui le pire.
De l'autre côté, le médecin, pour échapper à cette double contrainte
tragique parce que impossible à satisfaire complètement, est tenté de
choisir la seconde contrainte: découvrir un dérèglement organique qui
deviendra un objet pour lui et pour le malade. La tâche semble d'autant
plus aisée que la technique paraît offrir les moyens de repérage du
dérèglement par la multiplicité d'examens de plus en plus fins qu'elle
rend possible et d'autant plus que la possibilité qu'un tout petit
rien ait échappé justifie la multiplicité des examens. Le supposé
"malade" se laisse conduire d'autant plus que sa première
contrainte était en grande partie inconsciente et que la seconde, au
contraire, lui apparaît très clairement. Il dira: le docteur a
trouvé ce que j'avais: c'est répertorié, bien connu, une action est
possible, je suis sauvé, me voilà tranquille.
Pour le médecin qui n'avait pas compris le sens de la recherche du
malade, qui n'a plus devant lui que la recherche classique d'une mesure à
faire varier par un médicament adéquat, la tentation est grande de transformer
l'écart d'une mesure avec la "normale" en maladie, ce qui
revient à "rendre malade" le patient, celui qui supporte.
Comment? Certes pas par un diagnostic formulé clairement, avec
précision, un engagement qu'il est bien incapable de prendre mais par des
expressions de sa figure, une préoccupation marquée, un sous entendu...
"Cette mesure ne me plaît pas du tout..." "Je ne dis pas
cela, mais nous allons surveiller cela de près, revenez..." (Il est
probable que le patient de plus en plus préoccupé, sentira les effets de
cette préoccupation). Et voilà l'individu, toujours surveillé par la
société qui lui veut du bien, qui ressort malade du cabinet médical.
Bien entendu le symptôme peut très bien être un signe
adressé au médecin. La rage de le considérer comme symptôme permet,
grâce aux techniques (médicaments) de le réduire, de le mettre au pas.
"Nous y sommes arrivés! Nous avons 2 au lieu de 2,50!"
Voilà notre
individu,qui traîne le boulet de son symptôme, transformé en habitué
du cabinet médical et comme la sagesse populaire dit que plus on voit le
médecin, plus on est malade ....
Ainsi, un engrenage rationnel mais fou, sans frein, peu raisonnable et à
côté de la réalité du signe s'installe avec pour conséquence la
surconsommation médicale et l'aliénation de l'individu à la peur:
c'est la conséquence de la maladie iatrogène.
Le tout est bien entendu largement encouragé par des groupes de pression
économiques autrement puissants que ces voix isolées qui crient dans un
quasi désert:
- Qu'à une formation dans les premières années des études médicales
doit correspondre une formation de la future clientèle, de tous ceux qui
seront appelés à rencontrer ces étudiants lorsqu'ils seront devenus
médecins. A quoi sert de former humainement un médecin à une rencontre,
si sa future clientèle n'est pas formée à la rencontre? Voilà pourquoi
l'enseignement universitaire dans les premières années de médecine doit
impérativement être dans la continuité d'un enseignement scolaire mieux
adapté au dialogue , tout au moins en ce qui concerne les professeurs
et les élèves de terminales. Pas simplement le professeur de
philosophie, mais le professeur de biologie, d'histoire etc. Échapper au
"tout écrit":si le "tout écrit" permet l'émergence
d'une élite , il prépare des bataillons de solitaires. La barbarie suit
de près l'abandon de la maïeutique et de l'exercice au dialogue.
Ce n'est pas à une révolution que nous sommes appelés, mais à une
transformation, intelligente parce que mieux informée ce qui aurait des
conséquences non seulement dans la pratique médicale, mais encore dans
la pratique sociale où le dialogue semble bien avoir disparu. Il s'agit
de libérer la parole,et pour cela la vision d'autrui de toutes les
projections qui font que nous vivons entourés de masques, à côté de
l'essentiel parce que l'oppression d'un refoulement devenu automatique
offusque la recherche de la vérité dans un dialogue où les idées se
formeraient plutôt qu'elles ne s'échangeraient.
Un Monde où il n'y aurait plus besoin de se présenter comme malade pour
souffler, être écouté, être soigné d'un mal être qui ne peut être
soigné. Où la rencontre ne serait pas synonyme de capture.
Joseph
Llapasset ©
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