Refuge désigne
un lieu où l'on se retire pour échapper à un danger, à une situation
jugée inextricable parce qu'on arrive plus à l'assumer par une conduite
intelligente et bien ajustée.
Qu'elle est la fin de tout être humain?
Vivre heureux, jouir dans un monde à sa mesure, dans un monde qui le
reflète, "au pays qui te ressemble" dit Baudelaire, avec
l'être aimé, dans un anti-monde excluant tout ce qui le fait souffrir
dans son monde: un anti-monde de fidélité, de luxe, d'immortalité, où
tout lui serait occasion de se repérer, où tout le rassurerait, un monde
à son image.
L'économie et la
rationalisation galopante qui en découle, les techniques et la solitude
qu'elles installent, le zapping généralisé qui fait éclater les
familles, la mondialisation, tout cela bouleverse le monde qui est de
moins en moins à la mesure de l'individu. Celui qui se sent
incapable de s'assumer et de construire un monde qui lui convienne cherche
désespérément autour de lui des modèles qui vivraient une vie heureuse
pour les imiter. Mais ce qu'il rencontre ce n'est pas l'être des
autres mais leur paraître glorieux, alors que lui connaît bien son
manque d'être, sa propre misère. D'ailleurs, comment pourrait-il suivre
le chemin de telle ou telle célébrité ou de tel ou tel chevalier
d'industrie? Ces modèles ne peuvent que le désespérer parce qu'il ne
peut être que soi et que par le modèle il cherche à échapper à soi.
Dans un monde
dé-mesuré, dans le monde du travail où il est harcelé par la
compétition, par l'envie, par des imbéciles qui croient qu'en abaissant
autrui ils s'élèveront, en proie à la malveillance, la médisance quand
ce n'est pas la calomnie, un sentiment d'impuissance, d'incapacité,
l'étreint, étreint son existence même. Que va-t-il faire?
S'ouvre alors la porte d'un refuge: la maladie, comme une halte
pour échapper au désespoir et à la tentation du suicide. Le suicide
serait une porte de sortie définitive, dans la maladie refuge, on peut
entrer et en sortir.
La maladie - refuge lui permet en effet de "souffler",
d'échapper un temps à l'emprise du monde, au groupe social et à son
quadrillage infernal, aux échecs quotidiens, à la solitude et aux
masques de l'entourage.
La rencontre
médicale n'est plus qu'un prétexte pour poser ce qui semble au malade
être les vraies questions et quêter quelques réponses: comment m'y
prendre pour imiter les gens heureux tout en restant moi même? Comme m'y
prendre pour échapper au soi qui habite mon corps et qui voudrait prendre
l'habit d'un autre soi?
La maladie c'est alors cette pause qui évite le pire, qui évite
de prendre un chemin sans retour. La difficulté tient à ce que le malade
n'a, dans un premier temps du moins, pas conscience de qu'il recherche, du
sens de sa recherche. Il se croit malade et déclare, comme à la douane,
quelques symptômes dans le brouillard, alors qu'il porte en réalité des
signes. Tous les médecins ont senti sourdre ce désespoir dans la demande
maladroite d'un arrêt maladie, dans la demande d'une halte, d'un
alibi, de la reconnaissance d'une incapacité qui sera justifiée aux yeux
de la société parce que rédigée par un homme de science et d'art.
Le malentendu
serait donc de prendre pour symptôme clinique ce qui en réalité n'est
que signe, de ne pas chercher à le comprendre, à en retrouver le sens
(orientation et signification).
La bonne question: quel est le sens de la recherche du patient?
Comment amener le patient à comprendre lui même ses propres réactions
et à en tenir compte? Pour renoncer à sa recherche de l'impossible, pour
échapper au désespoir induit par une recherche de reconnaissance vaine.
Mais l'on ne peut
donner que ce que l'on a. Comment faire accepter si on ne l'accepte pas
soi même, la fragilité de son être et l'imminence de la mort? Voilà le
médecin pleinement engagé dans sa recherche, au risque d'être dérangé
par la vérité qui sourd dans le dialogue? Comment soigner un malade sans
prendre conscience de l'origine de sa souffrance, qui tient à son
incapacité à obtenir la jouissance à laquelle son être aspire? De son
incapacité à prendre en compte pour le dépasser la folie de son
exigence: le "salut" est dans le dépassement de l'impossible
espoir, dans le passage à l'espérance qui se nourrit du possible dans
l'ici et le maintenant, ces repères fondamentaux qu'il s'agit de
retrouver pour aller mieux.
Joseph
Llapasset ©
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