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Diderot . Jacques le Fataliste.   

Entre Maîtres et Valets (page 5) 

Un maître nul! - Un valet surdoué  -  Les limites d'une amitié"Le titre et la chose"  - Entre maîtres et valets  

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1- Un Thème Récurrent.     
2- Almaviva et Figaro, Jacques et son Maître.

1 Un Thème Récurrent.

La rivalité amoureuse entre maître et valet, que Diderot ébauche avec humour dans les dernières lignes du roman, court dans tout le théâtre du XVIII° siècle. Il met en cause le tabou social qui frappait particulièrement le domaine des relations amoureuses et offre aux regards une réalité aussi vieille que le monde, mais toujours occultée par les convenances: l'égalité devant le fait sexuel. Notons, toutefois, que, même par la fiction théâtrale, les dames de la bonne société ne peuvent pas encore se permettre beaucoup de fantaisies hors de leur milieu.
Citons "Crispin, Rival de son Maître", que Lesage fait jouer dès 1707, les comédies de Marivaux, où les déguisements permettent bien des familiarités, et "les Noces de Figaro", de Beaumarchais, représentées en 1784.
Nous nous contenterons ici de quelques remarques sur cette oeuvre bien connue, et sur "le Barbier de Séville", donné une dizaine d'années plus tôt, où l'on découvre les mêmes personnages..

 

2 Almaviva et Figaro, Jacques et son Maître.

En regard de la rivalité amoureuse amorcée chez Diderot, nous allons brièvement poser le conflit qui oppose Figaro et le comte Almaviva, dans "les Noces de Figaro". Nous observerons ensuite les relations de maître à domestique entre ces deux hommes, par comparaison avec la situation de Jacques.

A- Des Rivaux.

Dans les deux cas, la jeune femme convoitée est la légitime conquête du valet, comme épouse, ou comme promise.

Chez Diderot, les intentions réelles et plus encore la stratégie du maître de Jacques restent, nous l'avons vu, du domaine de l'hypothèse, mais nous sommes portés à croire qu'il laissera faire les choses et attendra que Denise lui tombe dans les bras, si par une chance inespérée, la fantaisie lui en venait. Son tempérament bienveillant et sa nature paisible ne semblent pas le porter à user son énergie et sa matière grises pour organiser un mauvais coup contre l'honneur de son ami Jacques.

Chez Beaumarchais, au contraire, Almaviva est un battant, il souhaite avec fureur ce qu'il convoite. Dans le Barbier (où, faut-il le rappeler, il n'y a pas de rivalité entre maître et valet), il était prêt à tout pour conquérir la charmante Rosine, mais les moyens qu'il avait mis en oeuvre auraient piteusement avorté sans l'aide inappréciable de Figaro.
Il avait donc pu épouser l'élue de son coeur grâce à son ancien valet, et on était en droit d'imaginer qu'il lui en garderait une grande reconnaissance.
C'était mal connaître le coeur du comte. Dans les Noces, nous le voyons déjà lassé de Rosine, et pris de passion pour Suzanne, la fiancée de Figaro!
Ni scrupules, ni rebuffades ne l'arrêtent, et il devient d'autant plus impatient que le mariage de la jeune fille approche. Comédie, marchandage, chantage, il fait flèche de tout bois. Mais, n'ayant plus, cette fois, l'appui de l'ingénieux Figaro, et pour cause, il se verra mis en échec et couvert de ridicule.
Il n'a que mépris et animosité pour celui qui, bien légitimement, pourtant, prétend être heureux à son détriment. Peu lui importe que les deux jeunes gens s'aiment. D'une façon ou d'une autre, il les soumettra,
son bon plaisir seigneurial passe avant tout.

Dans cette attitude impérieuse et violente, nous retrouvons quelque chose de la fière désinvolture de Don Juan, comme si, un siècle entier ne s'était pas écoulé, comme si les Philosophes n'avaient pas encore annoncé l'égalité entre les hommes. Almaviva serait-il un attardé?

B- Maître et serviteur.

Laissons Maintenant les Noces pour revenir au début du Barbier de Séville, où les relations entre le comte et son domestique sont plus claires à observer.

Du côté d'Almaviva, le ton est vite donné: "Cette tournure grotesque... ce coquin de Figaro... maraud!...à mon service, tu étais assez mauvais sujet... paresseux, dérangé..."
Le récit des difficultés de son ancien valet le font rire et se moquer, et s'il consent à bavarder avec lui, c'est simplement parce que cela l'arrange pour l'instant, il ne s'en cache même pas.
En revanche, ses témoignages d'amitié n'ont pas de borne quand il comprend les services que Figaro peut lui rendre dans son entreprise: "Ah! Figaro, mon ami, tu seras mon ange, mon libérateur, mon dieu tutélaire!" Le valet, du reste, n'est pas dupe: "
Peste! Comme l'utilité vous a bientôt rapproché les distances!"
Aux moments désespérés, le comte peut aller jusqu'à supplier, mais quand les choses s'arrangent, il retrouve toute sa morgue, quand survient une traverse, il monte sur ses grands chevaux, tempête, injurie, menace sans cause ni mesure.

Pourquoi Figaro travaille-t-il pour ce personnage égoïste et hautain?  

Par l'appât du gain? Non! Il a beau s'écrier: "Allons, Figaro, vole à la fortune, mon fils", rien ne lui est promis de façon certaine, et l'or qu'il recommande au comte d'apporter en abondance servira surtout à couvrir les dépenses et à acheter les complaisances.

Par attachement à son ancien maître? Certainement pas! A l'inverse de Jacques et son maître, les deux hommes ne tenaient pas à rester ensemble. Mais ils se sont sûrement quittés en bons termes puisque Figaro avait en poche une recommandation d'Almaviva.

Il accepte de l'assister dans ses amours, moins par sympathie pour lui que parce qu'il a probablement depuis longtemps pitié de Rosine et que, comme elle, il voit dans le comte son libérateur: "Ah! la pauvre petite, comme elle tremble en chantant!..." C'est par plaisir que Figaro prend fait et cause pour le comte.

Plaisir de s'attaquer à une entreprise si difficile qu'elle est une sorte de défi, d'y engager toutes les ressources de son intelligence, de son imagination, de son adresse et de ses talents de comédien. Son enthousiasme et sa jubilation éclatent: "Moi, j'entre ici, où, par la force de mon art, je vais d'un seul coup de baguette, endormir la vigilance, éveiller l'amour, égarer la jalousie, fourvoyer l'intrigue et renverser tous les obstacles".
Plaisir surtout de se sentir maître du jeu, indispensable, et de donner des ordres à qui vous en a toujours donné: "
Vous, monseigneur, chez moi, l'habit de soldat, le billet de logement, et de l'or dans vos poches".

Quelle revanche, de voir ses conseils écoutés, de faire tourner à sa guise l'orgueilleux personnage: "il ne serait pas mal que vous eussiez l'air entre deux vins... et le mener un peu lestement... pas mal, en vérité, vos jambes, seulement, un peu plus avinées..."
Quelle occasion inespérée de se moquer impunément du grand seigneur amoureux! "la voilà!.. ne regardez donc pas!..!" et quand Rosine a fermé sa fenêtre: "Vous oubliez, monseigneur, qu'elle ne vous entend plus!"
Tenant en mains le sort de son maître, Figaro pourrait profiter de cette situation dominante pour faire sonner haut ses mérites et obliger le comte à reconnaître sa supériorité, Jacques, à coup sûr, ne s'en serait pas privé. Il le pouvait parce qu'il se trouvait dans un climat de bienveillance, ce qui n'est pas le cas ici, où ressurgissent sans cesse chez Almaviva méfiance et mépris.
Ainsi, notre officieux barbier montre beaucoup moins d'insolence qu'on ne lui en prête. Il parvient mal à se dégager d'une sorte de crainte face à son ancien maître et l'on pourrait, je pense, compter ses audaces sur les doigts d'une main.

Citons la plus connue: "Aux vertus qu'on exige d'un domestique, Votre Excellence connaît-elle beaucoup de maîtres qui fussent dignes d'être valets?" Jacques s'en est permis bien davantage!
Est-ce parce qu'il s'agit du théâtre où ce qui est dit peut plus facilement faire scandale que dans un roman?
 

Beaumarchais donne, certes, la caricature féroce d'un Privilégié, mais, dans la peinture des relations entre Figaro et son maître, il montre une grande prudence, comme s'il restait prisonnier d'un carcan social.
Son contemporain Diderot s'en est affranchi, pour nous donner, dans la fantaisie et la bonhomie, une jolie leçon d'égalité.

Diderot, Jacques le fataliste, vu par Jacqueline Masson.

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