Auteurs Diderot . Jacques le Fataliste. Entre Maîtres et Valets (page 5)
Un maître nul! - Un valet surdoué - Les limites d'une amitié - "Le titre et la chose" - Entre maîtres et valets ------------------------------------------------------------ 1-
Un Thème Récurrent. La rivalité amoureuse entre maître et valet, que Diderot ébauche
avec humour dans les dernières lignes du roman, court dans tout le théâtre
du XVIII° siècle. Il met en cause le tabou social qui frappait
particulièrement le domaine des relations amoureuses et offre aux
regards une réalité aussi vieille que le monde, mais toujours occultée
par les convenances: l'égalité devant le fait sexuel. Notons,
toutefois, que, même par la fiction théâtrale, les dames de la bonne
société ne peuvent pas encore se permettre beaucoup de fantaisies hors de leur
milieu.
2 Almaviva et Figaro, Jacques et son Maître. En regard de la rivalité amoureuse amorcée chez Diderot, nous allons brièvement poser le conflit qui oppose Figaro et le comte Almaviva, dans "les Noces de Figaro". Nous observerons ensuite les relations de maître à domestique entre ces deux hommes, par comparaison avec la situation de Jacques. A- Des Rivaux. Dans les deux cas, la jeune femme convoitée est la légitime conquête du valet, comme épouse, ou comme promise. Chez Diderot, les intentions réelles et plus encore la stratégie du maître de Jacques restent, nous l'avons vu, du domaine de l'hypothèse, mais nous sommes portés à croire qu'il laissera faire les choses et attendra que Denise lui tombe dans les bras, si par une chance inespérée, la fantaisie lui en venait. Son tempérament bienveillant et sa nature paisible ne semblent pas le porter à user son énergie et sa matière grises pour organiser un mauvais coup contre l'honneur de son ami Jacques. Chez Beaumarchais, au contraire, Almaviva est un
battant, il souhaite avec fureur ce qu'il convoite. Dans le Barbier (où,
faut-il le rappeler, il n'y a pas de rivalité entre maître et valet), il
était prêt à tout pour conquérir la charmante Rosine, mais les moyens
qu'il avait mis en oeuvre auraient piteusement avorté sans l'aide
inappréciable de Figaro. Dans cette attitude impérieuse et violente, nous retrouvons quelque chose de la fière désinvolture de Don Juan, comme si, un siècle entier ne s'était pas écoulé, comme si les Philosophes n'avaient pas encore annoncé l'égalité entre les hommes. Almaviva serait-il un attardé? B- Maître et serviteur. Laissons Maintenant les Noces pour revenir au début du Barbier de Séville, où les relations entre le comte et son domestique sont plus claires à observer. Du côté
d'Almaviva, le ton est vite donné: "Cette
tournure grotesque... ce coquin de Figaro... maraud!...à mon service, tu étais
assez mauvais sujet... paresseux, dérangé..." Pourquoi Figaro travaille-t-il pour ce personnage égoïste et hautain? Par l'appât du gain? Non! Il a beau s'écrier: "Allons, Figaro, vole à la fortune, mon fils", rien ne lui est promis de façon certaine, et l'or qu'il recommande au comte d'apporter en abondance servira surtout à couvrir les dépenses et à acheter les complaisances. Par attachement à son ancien maître? Certainement pas! A l'inverse de Jacques et son maître, les deux hommes ne tenaient pas à rester ensemble. Mais ils se sont sûrement quittés en bons termes puisque Figaro avait en poche une recommandation d'Almaviva. Il accepte de l'assister dans ses amours, moins par sympathie pour lui que parce qu'il a probablement depuis longtemps pitié de Rosine et que, comme elle, il voit dans le comte son libérateur: "Ah! la pauvre petite, comme elle tremble en chantant!..." C'est par plaisir que Figaro prend fait et cause pour le comte. Plaisir de s'attaquer à une entreprise si difficile
qu'elle est une sorte de défi, d'y engager
toutes les ressources de son intelligence, de son imagination, de son adresse et
de ses talents de comédien. Son enthousiasme et sa jubilation éclatent:
"Moi, j'entre ici, où, par la force de mon
art, je vais d'un seul coup de baguette, endormir la vigilance, éveiller
l'amour, égarer la jalousie, fourvoyer l'intrigue et renverser tous les
obstacles". Quelle revanche, de voir ses conseils écoutés,
de faire tourner à sa guise l'orgueilleux personnage: "il
ne serait pas mal que vous eussiez l'air entre deux vins... et le mener un peu
lestement... pas mal, en vérité, vos jambes, seulement, un peu plus
avinées..." Citons la plus connue: "Aux vertus qu'on exige
d'un domestique, Votre Excellence connaît-elle beaucoup de maîtres qui fussent
dignes d'être valets?" Jacques s'en est permis bien davantage!
Diderot, Jacques le fataliste, vu par Jacqueline Masson. ° Rubrique lettres http://www.philagora.net/frindex.php |