"Une
passion est une existence primitive ou, si vous le voulez, un mode
primitif d'existence et elle ne contient aucune qualité représentative
qui en fasse une copie d'une autre existence ou d'un autre mode. Quand
je suis en colère, je suis actuellement dominé par cette passion
et, dans cette émotion, je n'ai pas plus de référence à un
autre objet que lorsque je suis assoiffé, malade ou haut de plus
de cinq pieds. Il est donc impossible
que cette passion puisse être combattue par la vérité et la
raison ou qu'elle puisse les contredire; car la contradiction
consiste dans le désaccord des idées, considérées comme des
copies, avec les objets qu'elles représentent."
Hume
(Traité de la nature humaine)
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Explication
à partir des concepts:
Raison
et passion: la raison permet de contempler, de prévoir,
de juger et d'enchaîner rigoureusement des jugements.
La passion est vécue comme ce qui pousse à agir pour se
satisfaire.
La passion est de l'ordre de ce qu'on éprouve vivement et la
raison de l'ordre de la représentation, de ce qui est connu, de
ce qui met à distance la réalité vécue.
Si on distingue l'existence primitive d'une copie, on s'est mis
dans les conditions de comprendre les différences entre la
passion et la raison.
Primitive:
ce qui est primitif est ce qui naît en premier, donné par la
nature, d'abord, comme existence, comme énergie qui se déploie
en s'éprouvant soi-même: c'est le dynamisme des passions qui n'a
rien à voir avec une représentation objective du monde.
Ce
qui est secondaire, dérivé, c'est précisément ce qui
rend présent à l'esprit, ce qui copie la réalité pour
contempler la représentation, prévoir des enchaînements et
porter des jugements. La raison qui, en combinant les représentations
ne combine en fait que des tableaux sans aucune
énergie, bien incapables de produire à eux seuls la moindre
action.
Autant
dire que la raison et la passion sont extérieures l'une à
l'autre au point que la raison, parce qu'elle est dépourvue de
dynamisme et d'énergie ne saurait produire un quelconque effet
sur la passion. Bien au contraire, la passion, peut utiliser la
raison.
Aucune
qualité représentative: rien qui pourrait rendre présent
à l'esprit, qui pourrait donc apprécier un argument, un
raisonnement: qui pourrait comprendre une erreur pour peu qu'on
montre la distance entre ce qu'on affirme et la réalité. De ce
fait, vouloir parler raison à une passion c'est parler à un
sourd: puisqu'elle ne peut comprendre elle ne peut être raisonnée
et la contradiction sur laquelle la raison s'appuie pour raisonner
ne saurait la toucher et l'amener à maîtriser le torrent qu'elle
est.
Je
suis... dominé: un passionné est tout entier à ce
qu'il vit dans l'instant et il ne saurait considérer la réalité
d'un objet, il ne saurait juger ou prévoir les conséquences de
sa passion: en effet, si une passion ne contient aucune qualité
représentative, elle ne peut que suivre son cours: elle ne peut
revenir sur elle même, s'objectiver.
Il
est donc impossible: ce qui rendrait possible
l'intervention de la raison c'est quelle puisse être suivie quand
elle s'appuie sur la vérité, l'accord de ce qu'elle affirme et
de la réalité, pour montrer au passionné son erreur et sa
faute. Comme la passion domine le passionné, il la vit, et que
son énergie se déploie en dépit de la raison sans énergie, la
passion suit sa route. La raison semble parfois s'opposer à une
passion, mais c'est seulement parce qu'elle emprunte l'énergie
d'une autre passion qui lui permet de combattre
la passion première.
Désaccord:
ce que je souffre m'importe bien plus que ce que je me représente.
Si je me suis cassé la jambe, cela compte bien plus pour moi que
la représentation de tous les malheurs de l'humanité. Ce que je
souffre ne saurait être sensible à l'ordre du jugement, de la
comparaison parce que une passion est aveugle aussi bien aux idées
qu'aux représentations, à ce qui, mis en pleine lumière par la
lucidité d'un jugement, ne saurait toucher ce qui se touche soi-même,
ce qui s'éprouve soi-même dans la souffrance, au point que le
passionné n'aime que lui, qu'il est insensible à tout ce qui
n'est pas lui, à tout ce qu'il ne voit pas actuellement.
Prenez mes yeux dira-t-il à celui qui tente vainement de le
raisonner.
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