° Rubrique lettres > Francis Ponge Auteurs Francis PONGE Pour découvrir le sens et la direction de l'oeuvre de Francis PONGE. Site Philagora, tous droits réservés _________________________________ Dialogue
entre Oui-oui et
le Hibou
Hibou: Je te propose d'être moins pressé: que nous
disent ces deux titres? Hibou: Que nous dit maintenant ce texte extrait de
la première oeuvre: Oui-oui: ce texte parle de dégoût des idées. Serait-ce qu'une idée, à quoi rien d'observable ne correspond, peut servir de prétexte à tyranniser le sensible comme dans le fanatisme, celui que Georges Brassens attaque dans "Mourir pour des idées". Hibou: bien dit, les idées le dégoûtent par l'usage ignoble qu'on en fait: au lieu de s'en servir comme principe régulateur, on les érige en réalités absolues ce qui permet de massacrer en leur nom. La raison au service de la force! On voudrait bien faire découler le droit de l'idée. Si l'idée a tous les droits il sera juste de plier le sensible à l'idée, de le nier. Mais, comme l'idée est par définition sans contenu (par exemple, l'idée de bonheur) chacun peut donner à l'idée le contenu qui lui plaît... Oui-oui: je commence à comprendre le dégoût de Ponge et, par réaction, son attention délibérée au sensible, aux objets.
Hibou: D'autant plus qu'après des siècles pendant
lesquels les idées ont été des reines, Ponge se prend à espérer un monde où les
objets retrouveraient leurs droits. Après tout c'est se tourner vers l'existence,
vers la vie et en même temps vers l'essence, ce que la chose est: il s'agira de
l'exprimer dans toute la mesure du possible. Hibou: Réfléchissons, qu'est-ce qui
permettrait de distinguer radicalement une guêpe d'un tramway, un vivant d'un objet
fabriqué? qu'est-ce qui permettrait de les rassembler? Hibou: mais on peut les rassembler en disant
qu'ils sont tous les deux visibles et qu'on peut donc les observer, dans
une croyance aux données des sens, comme dans la ligne tracée par Socrate (La
République, fin du Livre VI). Maintenant pourquoi ne pas s'attarder sur
l'expression "Le parti pris..." Hibou: voilà exactement le sens, la signification et la direction de son oeuvre: présenter les tentatives et les échecs successifs pour exprimer la chose. A un préjugé qui provoque le malheur des petits, des humbles, des "mèches qui fument", il oppose un parti pris généreux: se tourner vers le visible, vers la terre la terre (le galet, le mimosa, l'escargot, la jeune mère) scrutant ainsi le minéral, le végétal, l'animal et même l'humain avec le fol espoir de donner aux choses une épaisseur dans l'esprit de l'homme. Le point de vue ressort du matérialisme et de Feuerbach évidemment. Oui-oui: un effort de description alors "Ainsi, écrivant sur la Loire d'un endroit des berges de ce fleuve, devrai-je y replonger sans cesse mon regard, mon esprit. Chaque fois qu'il aura séché sur une expression, le replonger dans l'eau du fleuve." ("La rage de l'expression" -Gallimard p.10) Hibou: En quelque sorte. Résumons, Ponge dégoûté des idées métaphysiques et du n'importe quoi de l'ontologie se tourne vers le visible, vers l'audible, la nature au sens de ce qui est donné, pour tenter d'en dégager l'essence. Mais il est entraîné, de par les objets choisis, à en développer l'existence. Comme l'entreprise est vaine et qu'il ne peut aboutir à l'expression parfaite parce qu'il n'est pas Dieu, il est pris d'une passion, "la rage de l'expression"; mais cette passion est aussi une action: la suite des échecs aura pour effet d'exorciser le silence, l'injustice envers les choses de la terre. C'est le moment de relire dans Noces de Camus "Le désert". "Je n'arriverais pas à conquérir ce paysage, ce ciel de Provence? Ce serait trop fort!... Je me dis qu'il faudrait que j'y retourne... "(La rage de l'expression -Gallimard p.185) Ponge prend le parti de ceux dont les idées nient l'existence, de ceux que le silence mou étouffe: pour ainsi dire il leur donne la parole. "L'objet est toujours plus important, plus intéressant, plus capable (plein de droits): il n'a aucun devoir vis-à-vis de moi, c'est moi qui ai tous les devoirs à son égard".(La rage de l'expression -Gallimard p.10) Nous voilà prêts à admirer dans "La rage de l'expression" (page 16) l'analogie de la guêpe et du tramway électrique "A tout désir d'évasion, opposer la contemplation et ses ressources" (Le parti pris des choses. p. 174)texte de Joseph Llapasset Suivre le parcours: La guêpe et le tramway
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