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« Puissances de l'imagination »

(voie d'accès choisie: le pouvoir de l'imaginaire - Perspectives par Joseph Llapasset)

Proust, Un amour de Swann

Un monde imaginaire (Proust)

Démonstration en deux longues phrases

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"Il n'y a pas d'autre voie qui s'offre aux hommes pour arriver à une connaissance certaine de la vérité que l'intuition et la déduction nécessaire." Descartes, Règles pour la direction de l'esprit, règle 12. 
Comment convaincre de la vérité d'une thèse?
Comment la déduction rigoureuse peut-elle devenir l'occasion et la source d'une intuition rationnelle chez le lecteur?

Or si toute conscience est mémoire, anticipation, si le tout de l'attention est exigé par une déduction rigoureuse, alors il est nécessaire de ramasser le discours démonstratif pour que celui à qui il s'adresse en puisse prendre une seule vue pour avoir cette intuition rationnelle par laquelle il sera convaincu, ayant la connaissance certaine de la vérité. La multiplicité de la déduction apparaît dans l'unité d'une intuition, ce qui ne peut être opéré que par une longue phrase qui déploie le multiple selon l'unité qu'elle lui impose.

=> Regardons la structure de ces deux phrases qui cernent le pouvoir de l'imaginaire.

Phrase de 17 lignes:

"Tandis que chacune de ces liaisons où chacun de ces flirts, avait été la réalisation plus ou moins complète d'un rêve né de la vue ...en revanche ... quand un jour au théâtre il fut présenté ... ... elle était apparue à Swann ... ... qui sont à l'opposé du type que nos sens réclament."
Texte, Pléiade, I. page 195

Phrase de 15 lignes:

"Et sans doute, en se rappelant ainsi leurs entretiens ... ... il faisait seulement jouer son image entre beaucoup d'autres images ... ... l'image d'Odette venait à absorber toutes ces rêveries ...... alors l'imperfection de son corps ne garderait plus aucune importance ... ... il serait désormais le seul ..." Texte, Pléiade, I. page 199.

=> Les phrases de Proust, chaque fois qu'il conduit une démonstration, qu'il cherche à convaincre, sont caractérisées par leur ampleur et leur souplesse. Au contraire, elles sont plus mesurées quand il veut raconter. Le premier texte que nous allons étudier présente une seule phrase de 17 lignes dans l'édition de La Pléiades (I. Page 195). Dans le deuxième texte la phrase se déroule en 15 lignes! (I. Page 197).
C'est un fait incontestable que tout au long de son oeuvre Proust essaie de se sauver, de se retrouver comme Sujet en cernant des lois qui permettraient à la fois d'expliquer ce qui peut être expliqué comme on explique une force et de comprendre ce qui peut être compris: il mêle son oeuvre avec le constant souci de démontrer et il semble bien que ces longues périodes sont parfaitement ajustées à son projet

=> En effet, toute démonstration, tout effort pour montrer à partir de définitions, se présente comme ce qui opère le passage, par déduction rigoureuse - d'une définition, d'un postulat, ou d'une hypothèse née de l'évidence - à une une conclusion incontestable. 

Il s'agit d'une part, de ménager des enchaînements sans pour cela rompre la continuité, ce que ferait immanquablement la succession de courtes phrases. La longue période s'impose donc.

D'autre part, une démonstration n'est convaincante que si les enchaînements son juxtaposés par la mémoire devant la conscience du lecteur: une longue période permet de réunir une suite d'enchaînements déductifs sous un seul regard, une intuitio mentis, une intuition de l'esprit. Il y a bien sûr une limite pour ne pas désespérer la mémoire. La force de la démonstration apparaît alors au lecteur qui tient dans le champ de son attention ce qui vient d'être dit, et ce qui est dit. En anticipant, le lecteur participe au raisonnement

3Le pouvoir de l imaginaire : démonstration