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« Puissances de l'imagination »

(voie d'accès choisie: le pouvoir de l'imaginaire - Perspectives par Joseph Llapasset)

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Cervantès, Don Quichotte (début) 

Sur le chapitre premier. Avant de s'élancer vers une vie nouvelle

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=> Dé-chaînement de la folle du logis ! (pages 57, 58)

"Ayant, comme on le voit, complètement perdu l'esprit il lui vint la plus étrange pensée que jamais fou ait pu concevoir ... Il ne songea plus qu'à mettre son projet à exécution."

"comme on le voit" : c'est évident. Cervantès ne perd jamais le Nord, le point de vue de l'objectivité: si pour la réalisation d'un songe Don Quichotte est prêt à sacrifier la réalité de son entourage proche, c'est qu'il a perdu le sens de la mesure, qu'il a perdu l'esprit, qu'il est devenu complètement fou, du moins aux yeux de la sagesse telle que la conçoit Cervantès. Le personnage a perdu l'esprit c'est à dire le pouvoir de distinguer la réalité et l'irréalité, le pouvoir de critiquer, en séparant le vrai du faux, ce qui correspond à la réalité de la perception et ce qui correspond à l'irréalité de l'imaginaire. Dès lors il ne peut être que le jouet de son imaginaire.

"il lui vint" : il s'avisa de, comme dans le jaillissement d'une invention. La vraie vie est ailleurs, il faut aller ailleurs pour la vivre.

"Bon et nécessaire" : bon pour lui, pour sa gloire, pour la plénitude de son existence, et nécessaire pour le service de sa patrie.

"Chevalier errant": le chevalier était un seigneur ayant les moyens financier pour assurer l'armement à cheval. Chevalier errant désigne un chevalier qui allait avec son cheval et son armure par le monde pour réparer les torts et les injustices, pour montrer plus simplement sa valeur physique, sa force et morale, son courage au cours de tournois qui étaient organisés près des châteaux. "Errant" parce qu'il va de côté et d'autre, voyageant ainsi à l'aventure en comptant sur le hasard de rencontres fortuites ou sur la Providence, la main de Dieu qui le guiderait vers des nids d'injustices. 

Le chevalier errant est une figure de l'imaginaire qui ne s'en tient qu'au symbolique, qui veut créer sa vie au coup par coup pour ainsi dire par des coups d'éclats et refuse la continuité qui  tisse la vie par des enchaînements bien conduits. Dès lors la source de sa vie est confiée à l'impulsion, à l'imaginaire: c'est un vagabond qui refuse les racines. On ne peut dire que sa vie a un sens, puisque, à chaque période elle change de sens ce qui interdit de la comprendre et élève un mur entre lui et celui qui a gardé le bon sens.

 

En se livrant à l'imagination du moment il a perdu l'esprit, en se livrant à l'imaginaire il renonce à toute possession et en ce sens, se consacre à la pauvreté ce qui le fait dépendre de la générosité de ceux qu'il rencontre.

"Le pauvre": cette intervention de Cervantès sonne comme un rappel à la réalité. Nous y voyons la pitié et la bonté du narrateur.

"se voyait déjà": il s'agit, ici encore, de la confusion entre imaginer et percevoir: l'hallucination est à l'horizon proche.

"Le plaisir singulier": le plaisir de sentir la réalisation de l'impossible et d'en jouir à l'avance. Singulier parce que différent des autres plaisirs puisqu'il ne s'agit pas d'une consommation d'un objet mais d'une satisfaction de croire à la réalisation de l'impossible. Le plaisir de sentir rien qu'en imaginant, plaisir raffiné et rare, mais qui accompagne les rêveries.

"Emporté" : il est pour ainsi dire "ravi". Il ne s'agit plus de contemplation mais d'actions qui vont découler et se nourrir des rêveries. La structure de sa conscience s'est fixée et avec la souplesse de sa conscience, il a perdu sa liberté.

"Mettre son projet à exécution": posséder l'objet de son désir, de sa passion, réaliser un songe, goûter effectivement le charme d'un songe. S'il n'avait pas perdu son bon sens, cela lui paraîtrait impossible. Mais il est tellement touché par la force de ce qu'il imagine qu'il ne doute pas un instant qu'il le voit déjà effectivement réalisé. De ce fait, il prend ses rêveries pour la réalité, elles lui semblent effectivement réalisables, il est emporté avec autant de force que s'il vivait déjà la réalisation d'un songe. 

=> Nous venons d'assister à la naissance de l'illusion et de comprendre, grâce au narrateur,ce qui fait sa force. La puissance de l'imagination c'est qu'elle peut convoquer l'imaginaire mais c'est aussi que cet imaginaire peut aliéner pour peu que l'esprit d'examen ne s'exerce plus. L'imagination fabrique un irréel, mais il arrive que dans la tête de celui qui imagine cet irréel soit considéré comme réalisable. En ce sens le bonheur est un idéal de l'imagination, mais celui qui a perdu le bon sens ne le sait pas. Faut-il le lui dire? Est-il en mesure de l'entendre?

Vers: Don Quichotte ... Sur le chapitre premier .Page 4. L'imagination et l'institution