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« Puissances de l'imagination »

(voie d'accès choisie: le pouvoir de l'imaginaire - Perspectives par Joseph Llapasset)

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Cervantès, Don Quichotte (début) 

Une expérience, une oeuvre. Où est la vraie vie? 

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=> Toute société, toute culture, toute vie humaine est mouvement d'échappement à des conditions naturelles ou aux routines du quotidien, mouvement qui se déplie par l'imagination et le choc de l'imaginaire, son corrélat noématique, avec des limites, en particulier  l'impossibilité de concilier liberté et nature, de jouir d'un songe. Les rêveries appellent donc l'expérience et la vie pleinement humaine n'est qu'une suite de tentatives pour réaliser l'imaginaire dans une réalité qui la nie; de cette "expérimentation", de ce choc de l'irréel et du réel, naît l'expérience susceptible de nourrir un récit ou un roman. 
Or l'oeuvre d'expérience, Don Quichotte, ne prend son vol que dans les dernières années de Cervantès, l'âge de la sagesse et de la prudence mais l'âge de l'ironie qui reconnaît que tout est vanité sauf la bonté et la tolérance; que la bonté et la tolérance sont nourries de l'imaginaire.

=> Ainsi, la biographie de Cervantès peut nous éclairer sur l'oeuvre au programme. Il faut considérer d'une part les deux premières époques de cette vie, les moments où c'est l'imaginaire qui nourrit l'action et l'héroïsme de Cervantès qui culmine à la bataille de Lépante (1571) au cours de laquelle il fait plus que risquer son intégrité physique, il perd la main gauche, ce qui lui semble avoir été le moyen de glorifier la main droite avec tout le symbolisme qui est attaché à la droite.
C'est une autre forme d'héroïsme, un héroïsme au quotidien, qui se déploie ensuite dans la captivité affrontée, dans la résistance dont sont capables ceux qui savent que la patience obtient tout. Deuxième moment de sa vie, deuxième expérience.
D'autre part, une fois "racheté" à son maître, l'esclave rendu à la liberté s'étonne de sa chute dans la platitude, la banalité, le pragmatisme, le manque de cette énergie spirituelle de l'âme, la priorité donné au simplement utile dans une Espagne dont l'âme reste pourtant bouillante et nostalgique des grandes épopées, des grandes découvertes qui comblent l'imagination de l'explorateur.

Le choc de l'imaginaire et de la réalité révèle dans l'épreuve de lucidité que la vraie vie est toujours ailleurs, qu'elle est toujours à l'horizon, ce qui creuse une ironie parce que la réalité contredit sans cesse l'enthousiasme, ce qui oblige à dire le contraire de ce qui est, pour survivre.
La vraie vie serait-elle dans l'imaginaire? On commence peut-être à saisir que le génie de Cervantès ne pouvait se déployer qu'à la cinquantaine après cette expérience de l'illusion dans l'aventure guerrière et de la désillusion de la captivité et surtout du retour dans une Espagne devenue prosaïque.

=> C'est comme si Cervantès avait acquis par son expérience que la vraie vie n'est pas ailleurs, dans un eldorado, dans un quelconque trésor qui attend le chercheur d'or, dans la jouissance d'un songe par la grâce d'une aventure, mais qu'elle ne peut être que rêvée et écrite, sans perdre jamais le bon sens du narrateur, l'ironie, le doute, l'esprit d'examen. Être un démiurge, produire une oeuvre imaginaire qui vivra de l'imaginaire. 
Le véhicule de la rêverie sera l'écriture qui transfigure les illuminations, qui donne une certaine réalité à l'irréalité par des représentations imaginaires, qui d'un trait atteint les choses les plus impossibles, par la création d'un imaginaire vivant dont l'énergie spirituelle s'exercera sur les plus grands auteurs: Dostoïevski dans L'idiot, Unamuno dans Le sentiment tragique de la vie, Ortega y Gasset dans La philosophie de l'histoire et bien d'autres...

=> Telle est la puissance de l'imagination: produire un imaginaire, un corrélat noématique, une créature qui ne perd rien de la puissance qui l'a produite, ce par quoi l'homme devient l'image de Dieu. Dieu crée l'homme à son image et donne l'esprit dont l'essence est la liberté à sa créature.

> Quatre perspectives pour la vraie vie