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La croyance

Lucrèce, De natura rerum: la croyance est-elle indéracinable?

 

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… "Si l'esprit n'est pas soumis lui même dans tous ses actes à une fatalité interne, et obligé d'en supporter le joug c'est l'effet de cette petite déclinaison des atomes exempte de toute règle de lieu et de temps." (Livre II)

... "C'est ici bas que la vie des sots devient un véritable enfer.... Tous les châtiments que la tradition place dans les profondeur du fleuve des enfers, tous, quels qu'ils soient, c'est dans norte vie qu'on les trouve." (Livre III)

... "Que font les hommes dans l'aveuglement de la passion? Ils attribuent à l'objet de leur amour des mérites qu'il n'a pas."
"Prétendre que c'est pour les hommes que les dieux ont voulu préparer le monde, c'est  pure déraison." (Livre IV)

... "O race infortunée des hommes, d'avoir attribué aux dieux de tels effets, et de leur avoir prêté en outre des colères cruelles ! Que de gémissements vous êtes-vous alors préparés à vous-mêmes, que de plaies pour nous, que de larmes pour nos descendants! ... Enfin quand sous nos pieds la terre vacille tout entière, quand les villes ébranlées s'écroulent, ou chancellent et menacent ruine, est-il surprenant que les mortels s'humilient, et laissent subsister dans l'univers des puissances supérieures, des forces surnaturelles et divines, capables de gouverner toutes choses?" (Livre V)

Dans le De natura rerum (= de la nature de choses) Lucrèce met en vers des aspects de la pensée  d'Epicure en composant une fresque pleine de majesté. Il s'agit à la fois de libérer l'homme des terreurs qui l'habitent et de l'amener à vivre en harmonie avec la nature.
La fin c'est l'ataraxie comme absence de troubles de l'âme et le moyen ne peut , aux yeux de l'auteur, être autre que la connaissance de la nature des choses, c'est à dire la reconnaissance du matérialisme qui seul lui semble  purifié de toute croyance.
C'est que la croyance est en effet source de craintes et de terreurs. Au lieu de s'en tenir à l'enchaînement des causes et des effets, l'homme  imagine des causes finales qui sont le produit d'une erreur de raisonnement: comment peut-on mettre la cause après l'effet? Autant dire que la croyance met en premier ce qui est en dernier (première partie du Livre IV). Détruire la possibilité de la croyance aux causes finales c'est du même coup détruire la croyance en la Providence ou action des dieux  qui auraient aurait des exigences sur ce que l'homme doit faire ou ne pas faire:des dieux avec des désirs!

=> Lucrèce se rend bien compte qu'un problème subsiste, celui de la liberté: il tente de concilier le déterminisme matérialiste avec la liberté: comme le supérieur ne peut jaillir mécaniquement de l'inférieur il est obligé de mettre la liberté dans la matière et donc de doter l'univers entier (et non plus simplement l'homme) d'une sorte de liberté diffuse.
Comment s'y prend-il?

  • D'une part il affirme que liberté et volonté peuvent se comprendre comme une sorte de spontanéité, d'initiative d'un individu indécomposable. Or, d'autre part, une sorte de spontanéité doit nécessairement être attachée à chaque atome indécomposable: les atomes tombent: sans initiative ils tomberaient en ligne droite, ils ne se rencontreraient jamais et rien d'autre n'arriverait puisque, aucune composition n'est possible entre ce qui est parallèle. Si les atomes se rencontrent c'est qu'ils possèdent une "déclinaison" ou clinamen qui leur donne une capacité d'initiative et fait qu'ils se rencontrent: c'est l'origine du monde. Chez l'homme la considération de ce mouvement des atomes permet d'expliquer la "volonté" qui est capable de rompre l'enchaînement des causes et des effets (ce qui serait un pur mécanisme, un destin).
    En conséquence, la liberté loin d'être le privilège de l'homme est partout en germe dans la nature des choses puisqu'elle est indissociable de l'initiative des atomes, qui rendent possible la liberté.

=> On voit bien que le matérialisme de Lucrèce est un réductionnisme qui prétend se passer de toute forme de croyance et des mythes qui sont inutiles et vains. Ce qui est inutile peut disparaître sans qu'il résulte de cette disparition un quelconque dommage.
Notons que si la croyance est engendrée par les passions humaines, à son tour la croyance engendre des terreurs humaines. De ce cercle de malheurs la philosophie peut nous sortir à la condition qu'on ne cesse pas de philosopher; (à tous les âges, disait Epicure). Car comme l'hydre la croyance ne cesse de renaître pour peu que le raisonnement vigilant cesse de s'exercer ce qui laisse le champ libre à la prolifération des opinions qui ne sont que des formes de croyances.
Ce que le raisonnement vigilant révèle c'est qu'il n'y a pas de causalité divine, qu'il n'y a pas de projet divin pour l'homme, ce qui laisse toute la place nécessaire à une autonomie de l'homme qui accède à la pensée et à la connaissance de la nature des choses.

=> Diderot et la plupart des maîtres du siècle des lumières ont lu le De natura rerum et s'en sont largement inspiré. On retrouve chez eux, et en particulier chez Diderot la même contradiction: Lucrèce a toutes les raisons d'abandonner la croyance aux dieux mais il commence son oeuvre par un hymne à Vénus! De même Diderot n'abandonnera jamais le déisme qu'il associe aux lumières. Pour lever cette contradiction il faut peut-être revenir à Epicure qui distingue les dieux de la foule et les dieux,vivants immortels et bienheureux qui doivent être des modèles pour l'homme. Il s'agit moins de débarrasser le lecteur de la croyance en Dieu que de le débarrasser de la croyance aux dieux de la foule qui, à l'image des désirs, sont des tyrans.

Ces quelques remarques voudraient vous inciter à revenir sur le texte, en particulier au Livre V qui brosse un tableau de l'évolution articulé sur le concept de sélection naturelle. 
Le problème qui reste donc en suspend me semble être le suivant: comment se débarrasser de la croyance sans la remplacer par une autre croyance. L'incroyant "pur" existe-t-il?
  

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