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Sur le choix des trois oeuvres
Celui
qui s'attarderait au nom des trois auteurs s'étonnera d'abord
et s'interrogera sur les raisons d'un tel choix, tellement
Corneille, Chateaubriand, Marx, semblent différer. Pour
entrevoir la cohérence du choix, il faut rapporter le contenu
des oeuvres au thème: penser l'histoire.
En
effet, à la réflexion, si penser l'histoire c'est en édifier
une représentation rationnelle, cette représentation
rationnelle exige de répondre à la question: quel est le
moteur de ce devenir passé qui nous a faits ce que nous sommes?
Le
rapprochement de deux affirmations tirées de la préface donnée
par Marx et celle de Engels, devrait mettre sur la piste.
Dans la préface de Marx nous trouvons, une critique de
l'apologie faite par Proudhon du héros qui a commis le coup d'Etat.
Marx marque son opposition à cette apologie: "Quant
à moi je montre, par contre, comment la lutte des classes en
France créa des circonstances et une situation qui permet à un
personnage médiocre et grotesque de faire figure de héros."
Dans
sa préface à la troisième édition allemande de 1885 Engels
explicite ainsi: "Ce fut précisément Marx qui découvrit
le premier la loi d'après laquelle toutes les luttes
historiques ne sont en fait que l'expression plus ou moins nette
de la lutte des classes sociales." |
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A
la question comme penser le devenir historique, quel en est le
moteur, Marx répond, la lutté des classes, Corneille répondrait,
le héros, tandis que Chateaubriand insisterait sur le rôle de
l'individu quitte à la recomposer au gré de son imagination,
de sa vanité en multipliant les mensonges.
Alors le choix des trois oeuvres nous apparaît peut-être cohérent
avec le thème, penser l'histoire.
Faut-il
expliquer le monde des événements comme le résultat naturel
et nécessaire des rapports internes à une société ou
faut-il les comprendre en fonction d'un héros qui marque de son
sceau d'homme providentiel le cours des événements et les
oriente selon son génie propre et sa volonté?
Autrement
dit dans tous les cas ce sont bien les hommes qui font leur
histoire mais est-ce par le devenir des rapports sociaux économiques
ou par leur intelligence et leur volonté, d'hommes
exceptionnels.
Nous
voilà perplexe devant le héros: est-ce un homme médiocre
et grotesque, expression de circonstances ou est-ce celui
qui fait l'histoire: le héros est-il fruit de l'histoire ou
origine de l'histoire?
Louis
Bonaparte n'est-il que celui qui a saisi une occasion avec
avidité comme le ferait un médiocre ou celui qui a impulsé un
mouvement et généré une épopée? Autrement dit le coup d'État
de Bonaparte a-t-il été causé par la rencontre de séries
causales indépendantes, ses victoires, l'inconsistance d'un régime
politique décadent?
Remarquons
le paradoxe: la cause est le produit d'un hasard et l'événement
est un hasard!
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