Ce
que cela est, penser l'histoire: un acte de l'esprit.
Penser
l'histoire c'est produire un objet mental, une pensée
de l'histoire. Voici quelques exemples.
"Mais
partout où le hasard semble jouer à la surface, il est
toujours sous l'empire de lois internes cachées, et il ne
s'agit que de les découvrir." Engels, Feuerbach et la
fin de la philosophie classique allemande - Editions sociales.
Engels
pense l'histoire, il produit, édifie une représentation
rationnelle de l'histoire: il ne retient que ce qui est
rationnel, ce qui suit un ordre, ce qui s'enchaîne et découle
de la nécessité des lois. Ces lois commandent ce qui paraît
un jouet agité par un enfant capricieux, le hasard. En enlevant
ce qui recouvre les lois, en les mettant à jour sous la lumière
de l'esprit, on dévoilera ces lois internes cachées et on
expliquera l'histoire comme on explique un déterminisme dans
les sciences. Engels présente sa thèse: elle lui paraît peu
contestable. Le hasard n'est que l'écume des vagues puissantes
d'une nécessité qui s'exerce inexorablement, du moins tant que
la découverte des lois n'aura pas été effectuée.
Est rationnel l'ordre de l'enchaînement des faits selon des
lois. Engels met le primat de la loi sur les événements
particuliers. Par exemple, celui qui vote croit choisir et, en réalité,
suit des conditions extérieures qui influencent son vote.
Penser,
une pensée de l'histoire. "La fin de
l'histoire n'est pas une valeur. Elle est un principe
d'arbitraire et de terreur." Camus, L'homme révolté,
page 277. Camus pense une pensée de l'histoire qui lui paraît
calamiteuse.
Penser
l'histoire selon un modèle rationnel, l'enchaînement de moyens
en vue d'une fin, c'est exclure tous ceux qui ne se plieront pas
à un mouvement prédéfini: penser ainsi l'histoire c'est
plonger l'humanité dans l'arbitraire puisque le mouvement vers
la fin est imaginaire, et dans la terreur puisque ceux qui ne
suivent pas le mouvement devront disparaître.
Gardons
bien en mémoire ces deux citations: penser l'histoire nous
oriente vers les affrontements, des combats, des discussions au
moins. Dans cette atmosphère de guerre idéologique, il ne sera
pas difficile de formuler des problématiques et de cerner les
problèmes.
Exprimer
une pensée de l'histoire: "Marx passe
constamment de l'idée qu'il est impossible d'écrire l'histoire
sans tenir compte des conditions économiques à l'idée qu'il
est possible d'écrire l'histoire par le jeu des causes économiques."
Th. Maulnier, Au delà du nationalisme, page 171.
L'expression
d'une pensée de l'histoire nous permet de mieux cerner la
rationalité de l'objet mental produit. On notera le glissement
des conditions, ce qui accompagne nécessairement un devenir
sans pour cela suffire à le produire, aux causes comme
processus antécédents qui suffisent à expliquer le devenir:
pour ainsi dire cause totale du devenir.
L'intérêt
est de saisir la tension qui accompagne tout effort pour penser
l'histoire. Entre la compréhension et l'explication réductionniste,
comme si toute représentation rationnelle était toujours
accompagnée par le danger d'offusquer la réalité en se
substituant à elle. Pour conjurer ce danger, Camus parlera de
cause occasionnelle (l'homme révolté, page 306).
Gardons
bien en mémoire ces trois citations.
Penser l'histoire au risque d'être déchiré entre une
connaissance impossible et une pensée de ce à quoi rien de
sensible ne correspond.
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