La
division du travail en travail intellectuel tourné vers les
idées, la pensée pure, et en travail manuel tourné vers les
réalités concrètes a pour effet de constituer une classe
d'intellectuels, de professeurs, d'avocats, d'écrivains, de
journalistes..., qui tend à oublier les attaches concrètes à
l'origine des représentations de la conscience. Pourtant les
idées de la conscience reflètent les forces réelles de
l'histoire et singulièrement la lutte des classes, ce qui
signifie que l'illusion devrait obéir à un déterminisme
strict et que la tâche du penseur de l'histoire est avant tout
de découvrir le mécanisme des illusions:cela permettrait,
comme toute connaissance d'un déterminisme, de savoir s'y
prendre pour lutter contre l'illusion idéologique.
Il
s'agit bien de mettre à jour les conditions nécessaires c'est
à dire de trouver les conditions qui rendent, à telle époque
ou à telle période, nécessaire l'illusion dans une société
donnée.
Il
apparaît alors que l'illusion consiste dans la croyance à
l'indépendance des idées, par exemple à l'indépendance des
idées philosophiques, alors même que la philosophie, n'étant
pas extérieure au monde, relève du monde et s'élève sur les
conditions de l'époque. Or, si l'illusion obéit à un
déterminisme strict c'est qu'elle tient à des conditions qui
exigent une consolation, parce qu'on ne veut pas les
affronter directement. L'illusion est donc consolatrice
comme l'opium. Elle en a la fonction. |
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Il
serait vain de croire que l'esprit peut vaincre l'aliénation,
la déconstruire, comme le prétend la philosophie et
particulièrement celle de Feuerbach (voir la note ci-dessous).
Parce
qu'on ne s'attaque à ce qui génère l'illusion, à ce qui la
rend nécessaire, l'illusion renaîtra toujours comme d'ailleurs
l'opinion renaît toujours.
Lutter contre l'illusion exige de lutter contre l'état de
choses qui l'a rendue nécessaire: c'est le terreau nourricier
de l'idéologie, de l'infrastructure qu'il faut modifier. En
effet ce que les idées reflètent dans la représentation
rationnelle c'est la vie dans sa réalité propre à une
époque, les faits réels accomplis par les vivants, leurs
besoins, leur travail, les conflits de classe que cela
entraîne.
Quant
à la philosophie, elle appartient à l'idéologie qui s'élève
au-dessus des forces productives, de leur état comme des
rapports de production qui en dérivent. "Ce n'est pas la
conscience qui détermine la vie, mais la vie qui détermine la
conscience." Marx et Engels, L'idéologie allemande.
Tel
est le sens, l'orientation et la direction que prend la pensée
de Marx vers une rupture avec une certaine philosophie et la
répudiation des idées creuses de cette philosophie.
C'est
ainsi que dans L'idéologie allemande, on ne sera pas
étonné de lire:
"Il
n'est venu à l'idée d'aucun des philosophes de se
demander quel était le lien entre la philosophie
allemande et la réalité allemande, le lien entre leur
critique et leur propre milieu matériel."
Marx et Engels.
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L'idéologie
est conçue comme un système d'idées que l'on présente à
tort comme une exigence de la raison: ce système s'enracine en
réalité dans le besoin, dans les intérêts les plus vulgaires
et les plus médiocres qui sont en jeu dans les rapports de
production qui ne sont rien d'autre que les rapports entre les
classes d'une époque. La philosophie interprète le monde alors
qu'il s'agit de le transformer par une action qui porte sur lui.
Peut être faut-il comprendre le 18 Brumaire comme un appel
contre l'impatience qui ne ferait que couper des têtes...
Notes:
dans toute grande oeuvre il y a de quoi limiter ce qui peut
paraître excessif. La philosophie critique, la littérature
même, ne sont pas récusées par Marx. En témoigne ce passage
de la préface de Marx au 18 Brumaire.
"La
littérature française, au moyen des armes de la
recherche historique, de la critique, de la satyre et de
l'ironie, a donné le coup de grâce à la légende de
Napoléon." Marx , Le 18 Brumaire.
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On
en conclura peut-être que Marx ne répudie pas toute forme de
philosophie.
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