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Rubrique lettres
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Jean
COCTEAU
LA
MACHINE INFERNALE
Deux mondes
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Au troisième degré, Cocteau suggère l'impossible rencontre de
deux réalités qui vont se côtoyer ou interférer, se superposer ou s'opposer.
Dans ce drame, en effet,
coexistent et agissent puissances divines et simples humains:
Le Destin
impose la réalisation de
l'Indicible, en l'annonçant par un oracle, Oedipe, l'agnostique, l'accomplira, en
le récusant par des raisonnements et en croyant le conjurer par des moyens logiques.
Dans un quotidien rationnel et organisé, un
monde autre fait intrusion , insaisissable, sans limites précises, hors du temps:
Par un mort qui s'entête à vouloir jouer un rôle
chez les vivants,
Par un Sphinx, être bizarre, venu d'Egypte, de
Grèce, ou d'ailleurs,
Par un Oracle, sans cesse répété,
Par la confusion des images, des moments, des
identités, des rôles, des sentiments...
Après la Voix du Prologue, c'est Laïus qui donne le ton.
Mort ou vivant, il subit les événements,
et tout semble lui échapper, et pourtant, ce personnage en apparence très secondaire et
très pâlot, donne à la pièce sa pleine dimension... Durant sa vie, les choses se
font en dehors de lui, et il est frustré de ce qui devrait lui revenir, bonheur
d'époux et de père, fin digne d'un prince. C'est un mari, trop vieux pour sa jeune et
charmante épouse.
Au moment de la naissance de son fils, sa
femme semble avoir agi sans le mettre au courant de l'avenir qu'on prédisait à l'enfant,
ni même lui montrer le bébé. Roi d'une grande cité, il meurt incognito, d'un coup
maladroit qui ne lui était pas destiné, et qu'il ne méritait pas.
Après sa mort, il découvre d'horribles
secrets, qu'il n'a pas le droit de divulguer. Soucieux de sa femme et de l'ordre
moral, il passe outre à l'interdit des divinités infernales et revient sur terre pour
avertir les humains. Ainsi son
retour au monde des vivants est une terrible épreuve:
Il n'y a plus sa place. Il a perdu ce qui constituait son identité, c'est à dire
son apparence propre et sa dignité royale, il doit se nommer pour se faire reconnaître.
Encore a-t-il la chance de tomber sur de braves garçons qui ne
mettent pas en doute ses affirmations, se prennent pour lui d'une sorte d'amitié et
seraient tout prêts à l'aider, car c'est un fantôme très poli, et très émouvant.
A la fois anxieux pour Thèbes, que guette un danger
imminent, et terrifié pour lui-même à l'idée du châtiment qui l'attend si sa
désobéissance est découverte par les dieux d'En-Bas, il tremble, il implore l'aide des
deux soldats et va même jusqu'à les supplier de l'insulter pour favoriser sa fuite.
Sa maladresse et l'incoordination de ses efforts
sont
désespérants: "dès qu'il parlait mal, on le voyait très
bien. Mais on le voyait mal dès qu'il parlait bien et qu'il recommençait la même chose:
la reine Jocaste. Il faut... il faut... la reine... la reine... la reine Jocaste...",
car il bégaie terriblement et s'embrouille dans ses explications. sont
désespérants: "dès qu'il parlait mal, on le voyait très
bien. Mais on le voyait mal dès qu'il parlait bien et qu'il recommençait la même chose:
la reine Jocaste. Il faut... il faut... la reine... la reine... la reine Jocaste...",
car il bégaie terriblement et s'embrouille dans ses explications.
De ses traits physiques, le pauvre revenant n'a en effet conservé
que sa barbe blanche, signe de son âge avancé, et cette disgrâce dans l'élocution.
C'est à ce signe que la reine, sans l'avoir vu, l'identifie sans hésiter: "c'est lui, pauvre cher!"
(On sait
que le nom de ce roi décidément malchanceux est devenu chez nous synonyme de long
discours cafouilleux, en souvenir, dit-on, d'un exposé interminable sur ce personnage,
prononcé, un jour de rentrée à l'Ecole Polytechnique, par un général qui n'était pas
orateur. Malicieusement, Cocteau a retenu ce trait.)
Ne pas être entendu, encore moins reconnu, par sa
femme, qu'il aime et qu'il appelle, ni par Tirésias, son ami fidèle, lui est
inexplicable et douloureux.
Avec les siens, qui auraient compris son message, il ne
parvient pas à communiquer. Les "petits",
qui, eux, le voient et l'entendent, sont incapables de saisir le sens de ses discours. Ses
vains appels et son angoisse ne sont perçus que par les spectateurs. Et pendant qu'il
s'évertue, l'irréparable qu'il voulait éloigner à tout prix s'accomplit.
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Malheureux,
pitoyable Laïus!
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