° Rubrique lettres  > Cocteau

Jean COCTEAU

Deux mondes  

 

LA MACHINE INFERNALE  

Deux mondes

Site Philagora, tous droits réservés ©
__________________

Au troisième degré, Cocteau suggère l'impossible rencontre de deux réalités qui vont se côtoyer ou interférer, se superposer ou s'opposer.

Dans ce drame, en effet, coexistent et agissent puissances divines et simples humains:

Le Destin impose la réalisation de l'Indicible, en l'annonçant par un oracle, Oedipe, l'agnostique, l'accomplira, en le récusant par des raisonnements et en croyant le conjurer par des moyens logiques.
Dans un quotidien rationnel et organisé, un monde autre fait intrusion , insaisissable, sans limites précises, hors du temps:
Par un mort qui s'entête à vouloir jouer un rôle chez les vivants,
Par un Sphinx, être bizarre, venu d'Egypte, de Grèce, ou d'ailleurs,
Par un Oracle, sans cesse répété,
Par la confusion des images, des moments, des identités, des rôles, des sentiments...

Après la Voix du Prologue, c'est Laïus qui donne le ton.

LAÏUS: UNE INTERFACE

Mort ou vivant, il subit les événements, et tout semble lui échapper, et pourtant, ce personnage en apparence très secondaire et très pâlot, donne à la pièce sa pleine dimension... Durant sa vie, les choses se font en dehors de lui, et il est frustré de ce qui devrait lui revenir, bonheur d'époux et de père, fin digne d'un prince. C'est un mari, trop vieux pour sa jeune et charmante épouse.

Au moment de la naissance de son fils, sa femme semble avoir agi sans le mettre au courant de l'avenir qu'on prédisait à l'enfant, ni même lui montrer le bébé. Roi d'une grande cité, il meurt incognito, d'un coup maladroit qui ne lui était pas destiné, et qu'il ne méritait pas.

Après sa mort, il découvre d'horribles secrets, qu'il n'a pas le droit de divulguer. Soucieux de sa femme et de l'ordre moral, il passe outre à l'interdit des divinités infernales et revient sur terre pour avertir les humains. Ainsi son retour au monde des vivants est une terrible épreuve:
Il n'y a plus sa place. Il a perdu ce qui constituait son identité, c'est à dire son apparence propre et sa dignité royale, il doit se nommer pour se faire reconnaître.

Encore a-t-il la chance de tomber sur de braves garçons qui ne mettent pas en doute ses affirmations, se prennent pour lui d'une sorte d'amitié et seraient tout prêts à l'aider, car c'est un fantôme très poli, et très émouvant. 

A la fois anxieux pour Thèbes, que guette un danger imminent, et terrifié pour lui-même à l'idée du châtiment qui l'attend si sa désobéissance est découverte par les dieux d'En-Bas, il tremble, il implore l'aide des deux soldats et va même jusqu'à les supplier de l'insulter pour favoriser sa fuite.

Sa maladresse et l'incoordination de ses efforts sont désespérants: "dès qu'il parlait mal, on le voyait très bien. Mais on le voyait mal dès qu'il parlait bien et qu'il recommençait la même chose: la reine Jocaste. Il faut... il faut... la reine... la reine... la reine Jocaste...", car il bégaie terriblement et s'embrouille dans ses explications. sont désespérants: "dès qu'il parlait mal, on le voyait très bien. Mais on le voyait mal dès qu'il parlait bien et qu'il recommençait la même chose: la reine Jocaste. Il faut... il faut... la reine... la reine... la reine Jocaste...", car il bégaie terriblement et s'embrouille dans ses explications.

De ses traits physiques, le pauvre revenant n'a en effet conservé que sa barbe blanche, signe de son âge avancé, et cette disgrâce dans l'élocution. C'est à ce signe que la reine, sans l'avoir vu, l'identifie sans hésiter: "c'est lui, pauvre cher!"

(On sait que le nom de ce roi décidément malchanceux est devenu chez nous synonyme de long discours cafouilleux, en souvenir, dit-on, d'un exposé interminable sur ce personnage, prononcé, un jour de rentrée à l'Ecole Polytechnique, par un général qui n'était pas orateur. Malicieusement, Cocteau a retenu ce trait.)

Ne pas être entendu, encore moins reconnu, par sa femme, qu'il aime et qu'il appelle, ni par Tirésias, son ami fidèle, lui est inexplicable et douloureux.

Avec les siens, qui auraient compris son message, il ne parvient pas à communiquer. Les "petits", qui, eux, le voient et l'entendent, sont incapables de saisir le sens de ses discours. Ses vains appels et son angoisse ne sont perçus que par les spectateurs. Et pendant qu'il s'évertue, l'irréparable qu'il voulait éloigner à tout prix s'accomplit.

Page suivante: Malheureux, pitoyable Laïus!

° Rubrique lettres  > Cocteau

2010 ©Philagora tous droits réservés Publicité Recherche d'emploi
Contact Francophonie Revue Pôle Internationnal
Pourquoi ce site? A la découverte des langues régionales J'aime l'art
Hébergement matériel: Serveur Express