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Jean COCTEAU

Deux mondes  

 

LA MACHINE INFERNALE  

Malheureux, pitoyable Laïus!

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A la pitié pour le pauvre Laïus, s'ajoute un autre sentiment, un sentiment qui a même précédé la pitié, c'est la crainte: "On a eu peur, la première nuit, chef, je l'avoue. Il faut dire qu'il est apparu très vite comme une lampe qui s'allume, là, dans l'épaisseur du mur."

Tous les fantômes font peur à priori, par le caractère insolite de leur apparition, et surtout parce qu'ils viennent d'un autre monde, un monde inconnu et, perçu comme menaçant.

Le fantôme de Laïus, qui, certes, n'est pas méchant, est-il réalité ou illusion? "On le distinguait mal,... On voyait le mur à travers... On finissait par imaginer qu'on le voyait quand on ne le voyait pas...C'est comme qui dirait une espèce de statue transparente...Le mur s'allume... La tache rouge, on dirait un fanal sur le mur..." (N'oublions pas que, par leur origine linguistique commune -une racine *phan, qui porte l'idée d'apparence-, le fantasme est le frère moderne du vieux fantôme, tous deux frères et cousins des phénomènes et de la fantaisie!)

Fantasme ou fantôme, celui de Laïus introduit dans la pièce la confusion, les incertitudes. Il est venu annoncer "une chose atroce, une chose de la mort... qu'il ne peut pas expliquer aux vivants". Sa présence contre nature fait éclater les normes, elle rend possibles toutes les absurdités:

  • Quand un roi mort prétend assurer l'ordre dans sa ville, des soldats en armes sont chargés de protéger une cité contre un animal surnaturel, une veuve qui cherche son mari sur le rempart oublie pourquoi elle y est venue, un devin, spécialiste de l'au-delà, ne détecte pas la présence d'un fantôme.
     
  • L'ordre des valeurs s'effondre: "Les rois morts deviennent de simples particuliers", observe le soldat, qui ajoute ce commentaire apitoyé: "Pauvre Laïus! il sait maintenant comme c'est facile d'arriver jusqu'aux grands de la terre!"
     
  • Le temps n'a plus de sens. Les identités se brouillent. Les sentiments et les rôles se confondent.

Laïus, intermédiaire "suspendu entre la vie et la mort", donne à l'action une profondeur étrange et inquiétante. C'est aussi le malheur qui s'inscrit au centre du drame avec la pitoyable apparition.

Hôte des lieux infernaux, le monarque assassiné appartient désormais à la sagesse divine, mais il ne peut la transmettre aux humains, ce rêve impossible (qui sera celui du Mauvais Riche de la parabole du pauvre Lazare, dans le Nouveau Testament) se heurte à une limite infranchissable.

Ses vains efforts manifestent d'une façon terrifiante la volonté incontournable du Destin et préfigurent l'échec de son fils. L'odeur pestilentielle dont il est obligé de s'entourer pour pouvoir apparaître, c'est déjà celle de l'épidémie que va provoquer dans la cité de Thèbes la souillure causée par la présence de son meutrier.

Objet pour nous de terreur et de compassion, signe de la faiblesse humaine face à la volonté divine, Laïus, sous son apparence anodine, est une figure tragique.

Très différente sera celle du Sphinx.  En pleine ambiguïté

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