"Ceux qui se
persuadent qu'il est possible d'amener la multitude ou les hommes
occupés des affaires publiques à vivre selon les préceptes de
la raison, rêvent de l'âge d'or des poètes, c'est à dire se
complaisent dans la fiction.
Un État dont le salut dépend de la loyauté de quelques
personnes, et dont les affaires, pour être bien dirigées,
exigent que ceux qui les mènent veuillent bien agir loyalement,
n'aura aucune stabilité. Pour qu'ils puissent subsister, il faudra
ordonner les choses de telle sorte que ceux qui administrent l'État,
qu'ils soient guidés par la raison ou mus par une affection, ne puissent
être amenés à agir d'une façon déloyale ou contraire à
l'intérêt général. Et peu importe à la sécurité de l'État quel motif
intérieur ont les hommes de bien administrer les affaires, pourvu
qu'en fait ils les administrent bien: la liberté de l'âme, en
effet, c'est à dire le courage, est une vertu privée, la vertu nécessaire
à l'État est la sécurité."
Spinoza. Traité politique, Chapitre premier, §5 et § 6
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= Peut-on
attendre la stabilité et la sécurité de l'État de
dirigeants dont la loyauté ne fait pas de doute?
Comment attendre qu'une multitude se conduise
raisonnablement par une décision morale, une intention
intérieure? Penser que cela est possible, n'est-ce pas
attacher la stabilité de l'État à une vertu privée, la
liberté en acte, bien fragile, surtout si l'on considère
que le pouvoir rend fou.
Renoncer
librement à ses affections, c'est à dire à ses passions,
l'ambition, la haine, l'envie, la colère, n'est-ce pas
prendre une voie très difficile à suivre, celle de
la vertu qui fait passer l'universel avant les appétits et
les affections particulières?
Autant
dire que c'est une utopie d'espérer que tous vont suivre
cette voie escarpée.
A
juste raison, Spinoza ne confond pas ce qui est (la
puissance des passions) avec ce qui devrait être (la
puissance de la raison dans les individus). Il pense que ce
qui est construit sur la morale des individus sera balayé
par ce qui arrivera de cette conscience morale.
Le
problème: qu'est-ce qui peut assurer la sécurité et la
stabilité de l'État si on ne peut compter sur la vertu
privée? Comment peut-on obtenir les effets que produit la
raison, sans pour cela en être réduit à en appeler au
loyalisme et à l'honnêteté de tous.
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= Lisons
le texte ensemble:
se
persuadent: eux mêmes,
s'amènent à croire, se rendent certains qu'il est possible ...
amener
à: entraîner petit à
petit de telle manière que chacun finisse par se laisser guider
par sa raison.
Le problème est donc celui de la direction. Qui dirige....?
la
multitude: l'ensemble
des individus préoccupés de leurs besoins et ceux qui exercent
le pouvoir politique mais qui n'en restent pas moins des hommes
soumis à des affections.
les
préceptes de la raison: nous sommes dans la
subjectivité de chacun, dans l'exercice de sa liberté, dans
l'intériorité, dans la décision: la morale de l'intention.
Chacun peut s'il le veut suivre la voie très difficile, celle
qu'enseigne la raison.
On doit être loyal c'est à dire obéir aux lois, principalement
aux règles de l'honneur et de la probité (l'honnêteté).
rêvent: ils
sont en plein déliré imaginaire, ils ne tiennent pas compte de
la réalité de ce qui est, ils sont obnubilés par ce qui doit
être. Ils imaginent que ce qui doit être est réalisable par
tous. Ce faisant ils nient la liberté de choisir ses
appétit, de les préférer ..
l'âge
d'or: c'est le temps
béni et mythique où chacun respectait la justice. C'est avant
l'histoire.
les
poètes: de ceux qui
créent un autre monde, qui imaginent que l'impossible est
possible, qui rêvent de la réconciliation de la nature et de la
raison.
=> C'est du
point de vue de la stabilité c'est à dire de l'ordre et de la
sécurité de l'État que Spinoza va opposer deux formes d'État
selon qu'il s'appuie sur la vertuprivée, en appelle à la
liberté de chacun et selon qu'il s'appuie sur les
effets de la raison.
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Joseph
Llapasset ©
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