"Puisque
nous traitons de la nature de l'âme, écartons de nos considérations toutes les connaissances qui nous
viennent de l'extérieur par les sens corporels, et tournons
notre attention, le plus soigneusement possible, vers ce
dont nous avons posé que toute âme le savait
à son propre sujet et tenait pour certain.
En effet, est ce que le pouvoir de vivre, et de se souvenir, de
saisir par l'intelligence, de vouloir, de penser, de savoir, de
juger est le propre de l'air, ou du feu, ou du cerveau, ou du
sang, ou des atomes, ou de je ne sais quel cinquième corps ajouté
aux quatre éléments connus, ou est-ce la structure, l'équilibre
de notre chair elle-même qui est capable de produire ces effets ?
Les hommes en ont douté, l'un essayant d'affirmer ceci, l'autre
cela. Cependant, qui douterait qu'il vit,
qu'il se souvient, qu'il saisit par l'intelligence, qu'il veut,
qu'il pense, qu'il sait et qu'il juge ?
D'ailleurs, même quand il doute, il vit ; s'il doute, il se
souvient de ce qui le fait douter ; s'il doute, il saisit son
propre doute par son intelligence; s'il doute, c'est qu'il veut être
certain; s'il doute, il pense ; s'il
doute, il sait qu'il ne sait pas; s'il doute, il juge qu'il ne lui
convient pas de donner à la légère son assentiment. Donc, on
peut douter de tout sauf de tout cela : si cela n'existait pas, il
ne serait pas possible de douter de quoi que ce soit."
Saint Augustin, La Trinité, livre X
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= on
peut distinguer trois parties dans ce texte, étant bien
entendu que la deuxième et la troisième parties
s'enchaînent.
1- A partir
d'un raisonnement qui
consiste à tirer une conséquence d'un point de départ
Saint Augustin délimite le champ de sa recherche en
écartant ce qui ne la concerne pas.
2- L'auteur
établit cela par une question rhétorique:
il explicite tout ce qui est contenu implicitement dans
l'âme: un pouvoir conscient de soi, ne saurait être le
produit des éléments matériels ou même de la chair. La
question est rhétorique car la réponse est évidente si on
a admis le point de départ de votre texte.
Au doute, aux controverses, à l'incertitude des
matérialistes, il oppose la certitude de l'âme sur ce
qu'elle sait en ce qui la concerne, à son propre sujet.
3- Enfin,
à partir de l'explicitation de tout ce que le doute
implique, il en conclut que
l'on peut douter de tout sauf des activités de l'âme,
puisque ses activités s'accompagnent de conscience et de la
certitude de ce qui s'éprouve soi même de ce qui se sait.
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= Lisons
le texte ensemble:
puisque: étant
donné que, parce que.
nous
traitons: nous
dissertons, nous exposons nos vues sur.
la
nature: ce que cela est
que l'âme, ses caractéristiques essentielles.
l'âme: principe,
ce qui en l'homme pense, se souvient, juge, saisit par
l'intelligence, aime, sent et veut. Évidemment, traiter de la
nature de l'âme c'est exposer ses vues sur tout cela,
examiner tout cela et rien d'autre.
écartons: nous
devons en conséquence écarter tout ce qui est extérieur à
elle, tout ce dont elle reçoit des informations par le corps, la
vue, l'ouïe ...
tournons: orientons
attention: pouvoir
de l'âme de fixer au foyer de la conscience un objet d'étude.
soigneusement: de
manière appliquée et minutieuse, méthodique, sans rien
négliger.
ce
dont: ce qui a pour
caractéristique essentielle.
nous
avons posé: affirmer
comme incontestable, comme principe et fondement de notre
recherche.
toute
âme: sans exception:
sans cela ce ne serait pas l'âme. C'est une caractéristique
essentielle: si ce qui appartient à l'essence disparaît, il ne
s'agit plus de l'âme. Ce n'est pas le cas pour les qualités
accidentelles (on peut perdre la jeunesse et continuer à vivre).
le
savait: le caractère
essentiel de ce qui appartient à l'âme c'est ce qu'elle sait de
manière immédiate. Descartes écrira: "Par le nom de
pensée, je comprends tout ce qui est tellement en nous que nous
en sommes immédiatement connaissant." (Seconde réponse,
IX). Ce que Spinoza reformulera: "Par le mot pensée, je
comprends tout ce qui est en nous et dont nous avons
immédiatement conscience."
le
propre: la
caractéristique essentielle de. Vers la page
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Joseph Llapasset ©
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