"Comme
un coursier indompté hérisse ses crins, frappe la terre du pied
et se débat impétueusement à la seule approche du mors, tandis
qu'un cheval dressé souffre patiemment la verge et l'éperon,
l'homme barbare ne plie point sa tête au joug que l'homme civilisé
porte sans murmure, et il préfère la plus orageuse liberté à
un assujettissement tranquille.
Ce n'est donc pas par l'avilissement des
peuples asservis qu'il faut juger des dispositions naturelles de
l'homme pour ou contre la servitude, mais par les prodiges qu'ont
faits tous les peuples libres pour se garantir de l'oppression
Je sais que les premiers ne font que vanter
sans cesse la paix et le repos dont ils jouissent dans leurs fers,
et que miserrimam servitutem pacem appellant, mais quand je vois
les autres sacrifier les plaisirs, le repos, la richesse, la
puissance et la vie même à la conservation de ce seul bien si dédaigné
de ceux qui l'ont perdu; quand je vois des animaux nés libres et
abhorrant la captivité se briser la tête contre les barreaux de
leur prison, quand je vois des multitudes de sauvages tout nus mépriser
les voluptés européennes et braver la faim, le feu, le fer et la
mort pour ne conserver que leur indépendance,
je sens que ce n'est pas à des esclaves
qu'il appartient de raisonner de liberté."
Rousseau. Discours sur l'origine de l'inégalité
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= miserrimam
servitutem pacem appellant : la servitude la plus
misérable, ils l'appellent paix (Tacite, Histoires, IV, 17)
On
entend souvent des avares juger de la générosité des
autres, ou même de l'avarice des autres.
Et on a envie de leur dire: médecin guéris toi toi-même.
Comment, l'esclave d'une passion, aliéné, pourrait-il
juger de ce qu'il n'a jamais éprouvé, de la générosité?
Et beaucoup préfèrent en effet la sécurité de l'or qui
les réchauffe à la liberté du voyageur sans bagages, qui
ne s'encombre pas, comme disait les latins des
"impedimenta".
Pour
juger de la générosité qui repose sur la liberté, ne
faut-il pas s'appuyer sur des exemples vécus de
générosité. Et, s'il y a un doute ou une perplexité, qui
peut mieux en juger qu'un être généreux?
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= Lisons
le texte ensemble:
1- Rousseau
compare et oppose:
-
a) Il compare
un coursier (plan particulier) et l'homme barbare (plan
général), mais aussi, un cheval dressé et l'homme
civilisé. Le barbare n'est pas civilisé et il ne parle
presque pas.
b) Mais cela est doublé d'une opposition: un coursier
indompté et un cheval dressé.
L'homme barbare et l'homme civilisé.
Le point de
comparaison et d'opposition, c'est le rapport à la liberté
d'indépendance.
-
c)
Comparaison des réactions.
- Le cheval dressé et l'homme civilisé: tous deux supportent
patiemment le joug qui les asservit. Ils préfèrent la
tranquillité de l'esclave assuré de sa pitance , à la
liberté.
- Un coursier et l'homme barbare: tous deux se révoltent
contre les contraintes au risque de subir des dommages dans
des difficultés.
2 -
Conséquence théorique:
Rousseau oppose
la parole des hommes de cours et l'action des peuples libres.
disposition: l'état
d'esprit de l'homme par rapport à la servitude.
naturelles:
selon sa nature d'être sans culture: spontanément,
immédiatement.
l'avilissement:
la dégradation, l'abaissement, la perte de la dignité que donne
la liberté: chez les peuples esclaves.
asservis:
placés sous le joug d'un maître: là où il y a un maître au
dessus des lois (le roi), il y a des esclaves.
les
prodiges: les actions
extraordinaires, l'héroïsme.
se
garantir: se protéger, se
préserver.
de
l'oppression: de tout ce qui
limiterait l'indépendance naturelle, de tout ce qui ressemblerait
à un assujettissement.
les
premiers: désigne les
peuples asservis.
vanter:
les esclaves mettent toujours en avant les avantages et la
sécurité assurée par le maître. (pour Rousseau, le roi envers
sa cour).
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Joseph
Llapasset ©
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