"On a beau
vouloir confondre l’indépendance et la liberté. Ces deux
choses sont si différentes que même elles s’excluent
mutuellement. Quand chacun fait ce qu’il lui plaît, on fait
sou-vent ce qui déplaît à d’autres, et cela ne s’appelle
pas un État libre. La liberté consiste moins à faire sa volonté
qu’à n’être pas soumis à celle d’autrui, elle consiste
encore à ne pas soumettre la volonté d’autrui à la nôtre.
Quiconque est maître ne peut être libre, et régner c’est
obéir.
Il n’y a donc point de liberté sans lois, ni où quelqu’un
est au-dessus des lois : dans l’état même de nature l’homme
n’est libre qu’à la faveur de la loi naturelle qui commande
à tous. Un peuple libre obéit, mais il ne sert pas ; il a des
chefs et non pas des maîtres ; il obéit aux lois, mais il n’obéit
qu’aux lois et c’est par la force des lois qu’il n’obéit
pas aux hommes. Toutes les barrières qu’on donne dans les républiques
au pouvoir des magistrats ne sont établies que pour garantir de
leurs atteintes l’enceinte sacrée des lois : ils en sont les
ministres non les arbitres, ils doivent les garder non les
enfreindre. Un peuple est libre, quelque forme qu’ait son
gouvernement, quand dans celui qui le gouverne il ne voit point
l’homme, mais l’organe de la loi. En un mot, la liberté suit
toujours le sort des lois, elle règne ou périt avec elles ; je
ne sache rien de plus certain."
Rousseau Lettres écrites de la montagne, 8e lettre
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= Lisons
le texte ensemble: (suite)
=> Nous
étions restés sur une question que nous nous posions: comment,
pour être libre, faut-il ne pas soumettre les autres? Est-ce que
régner ce serait obéir. Comme comprendre qu'exercer un pouvoir
absolu c'est se soumettre?
La lumière est dans ce qui a été coupé de votre texte: "je
ne connais de volonté vraiment libre que celle à laquelle nul
n'a le droit d'opposer de la résistance."
Vous comprenez que si on a soumis des gens, si on les a privés de
la liberté et donc d'une vie humaine, ils ont le droit d'opposer
de la résistance. Il ne faut pas les quitter de l'œil! Ainsi le
despote ne connaît pas de vraie liberté. Sa liberté est
destructive d'elle même: "La liberté sans la justice est
une véritable contradiction." pas
de liberté sans loi: les
lois sont des êtres produits par la raison, elles ont une double
universalité: pour tous, s'appliquant à tous, elles assurent
l'égalité des droits et par tous, exprimant la volonté
générale, elles assurent la liberté. Là où il y a des lois,
il ne peut donc y avoir quelqu'un au-dessus des lois, il ne peut y
avoir ni maître, ni esclave. La loi assure donc la liberté de
tous.
ni
où: ni là où se trouve
quelqu'un qui n'est pas soumis aux lois: cela lui donnerait un tel
privilège par rapport aux autres qu'il pourrait finir par les
asservir.
=> La suite
étant le il n'y a point de liberté sans lois dans l'état
de nature: s'il n'y a pas encore de loi institutionnelle, il y
a la loi naturelle qui commande à tous. La difficulté est de
savoir quelle est cette loi naturelle.
loi
naturelle: c'est une loi
parce qu'elle s'impose à tous. Pour Rousseau la loi naturelle ce
sont deux forces qui, tirant en sens contraire,ont pour
résultante un ordre et un équilibre. Il s'agit de l'amour de soi
et de la pitié pour les autres. Cette loi naturelle exerce une
force, un équilibre, un ordre, qui permet aux faibles de
survivre: celui qui a satisfait son appétit laissera les plus
faibles manger. Ainsi l'amour de soi est réglé par la pitié. Il
en résulte une force qui assure une certaine liberté. Par la loi
naturelle qui est pour tous, chacun est sur un pied d'égalité
avec ses semblables.
un
peuple: groupement d'hommes
ayant les mêmes institutions et la même constitution (loi
fondamentale).
obéit:
l'obéissance est liberté car chacun obéit librement à la loi
qu'il s'est prescrite.
chefs:
le terme désigne ceux qui gouvernent au nom des lois auxquelles
eux mêmes sont soumis.
maîtres:
despotes qui exercent un pouvoir indépendamment de toute volonté
générale.
il
ne sert pas: il n'obéit pas
à la volonté d'aucun individu puisque personne n'étant au
dessus des lois ne peut commander au nom de sa volonté
particulière.
par
la force des lois: qui
s'imposent à tous et qui défendent chacun. La force des lois
tient au consentement des citoyens réunis et de leurs forces
particulières réunies.
à
personne: puisque personne ne
peut faire ce qu'il veut et en particulier asservir.
=> Il est
important de protéger les lois des magistrats qui pourraient
être tentés de les transformer: il s'agit de mettre des
barrières entre eux et l'enceinte sacrée des lois. Par exemple,
une constitution qu'ils ne pourraient transformer qu'avec l'accord
de la volonté générale.
garantir:
protéger des atteintes.
les
lois: empêcher de les transformer, ce qui reviendrait à
les changer en simples décrets, au gré de la volonté des
magistrats.
enceinte:
là où se trouve, ce qui entoure.
sacrée:
que tous doivent respecter, que personne ne peut profaner.
magistrat:
Rousseau entend par ce terme autant ceux qui gouvernent au nom de
la loi que les juges qui appliquent la loi, et aussi le
gouvernement à quoi on a confié la puissance exécutive.
celui
qui le gouverne: le magistrat
suprême.
ne
voit point: ne considère pas
le magistrat suprême comme un homme avec sa volonté
particulière et ses préférences mais le considère comme l'organe
de la loi = ce qui fait parler la loi, ce qui l'exprime et
donc ce qui obéit à la loi.
suit
le sort des lois: si les lois
disparaissent, la liberté disparaît, si les lois demeurent, la
liberté demeure.
elle
règne: la liberté existe,
elle est établie.
Bonne
continuation
Joseph Llapasset
©
page
1 et page 2
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