"On a beau
vouloir confondre l’indépendance et la liberté. Ces deux
choses sont si différentes que même elles s’excluent
mutuellement. Quand chacun fait ce qu’il lui plaît, on fait
sou-vent ce qui déplaît à d’autres, et cela ne s’appelle
pas un État libre. La liberté consiste moins à faire sa volonté
qu’à n’être pas soumis à celle d’autrui, elle consiste
encore à ne pas soumettre la volonté d’autrui à la nôtre.
Quiconque est maître ne peut être libre, et régner c’est
obéir.
Il n’y a donc point de liberté sans lois, ni où quelqu’un
est au-dessus des lois : dans l’état même de nature l’homme
n’est libre qu’à la faveur de la loi naturelle qui commande
à tous. Un peuple libre obéit, mais il ne sert pas ; il a des
chefs et non pas des maîtres ; il obéit aux lois, mais il n’obéit
qu’aux lois et c’est par la force des lois qu’il n’obéit
pas aux hommes. Toutes les barrières qu’on donne dans les républiques
au pouvoir des magistrats ne sont établies que pour garantir de
leurs atteintes l’enceinte sacrée des lois : ils en sont les
ministres non les arbitres, ils doivent les garder non les
enfreindre. Un peuple est libre, quelque forme qu’ait son
gouvernement, quand dans celui qui le gouverne il ne voit point
l’homme, mais l’organe de la loi. En un mot, la liberté suit
toujours le sort des lois, elle règne ou périt avec elles ; je
ne sache rien de plus certain."
Rousseau Lettres écrites de la montagne, 8e lettre
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= Nous
croyons bien naïvement que nous ne sommes libres que
lorsque nous sommes indépendants et que, en conséquence,
le règlement, ou la loi, gène notre liberté. Ah, si nous
pouvions hurler quand bon nous semble, par exemple.
Que
penseraient ceux qui sont attentifs et qui écoutent? Et, au
rebours que penseriez-vous si, lorsque vous êtes attentifs,
les autres se mettaient à hurler?
De même un
travail serait-il possible si, toutes les cinq minutes la
porte de la classe s'ouvrait sur un retardataire?
Dans tous
les cas chacun finirait par aspirer à l'application d'un
règlement. Nous nous plaindrions tous à des moments
différents de l'absence de lois qui fait que nous nous gênons
mutuellement. "Quand chacun fait ce qu'il lui plaît,
on fait ce qui déplaît aux autres" dirions-nous tous
en cœur avec Rousseau.
Nous
commencerions alors à comprendre ce qu'est un peuple libre
et qu'il n'y a pas de liberté sans loi: c'est par la loi
que se réalise notre liberté.
Accrochez-vous
bien, ce texte a été donné au CAPES et il comporte une
difficultés sur laquelle les spécialistes de
Rousseau s'interrogent: comment interpréter
l'expression "la loi naturelle"?.
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= Lisons
le texte ensemble:
vouloir: ici,
désirer parce que cela nous va bien, croire sans justification
que indépendance et liberté sont une seule chose.
l'indépendance:
l'absence de contraintes qui s'exerceraient sur nous.
liberté:
la liberté morale, l'autonomie obéissance à la loi qu'on s'est
prescrite.
elles
s'excluent: on ne peut les
accorder au point que la présence de l'une empêche la présence
de l'autre.
ce
qui lui plaît: l'absence de
contrainte. La liberté naturelle de faire tout ce que l'on veut
si on le peut.
ce
qui déplaît: voyez ceux qui
hurlent dans l'introduction: on gène la liberté des autres qui
veulent écouter.
état
libre: dans un état libre le
peuple est libre. Si chacun gène les autres et est gêné par
eux. On ne peut pas parler d'un état libre.
consiste:
a pour caractéristique essentielle d'être.
faire
sa volonté: réaliser ce que
l'on veut.
n'être
pas soumis: ne pas avoir de maître.
=> Maintenant
le passage devient plus difficile car Rousseau ajoute que si la
liberté c'est n'être pas soumis (là on comprend), c'est aussi
de ne pas soumettre: on comprend moins que ne pas avoir d'esclave
soit une condition de la liberté.
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