"Comment
nous comportons nous vis-à-vis des actes d'un homme de notre
entourage? Tout d'abord nous considérons ce qu'il en résulte
pour nous, nous ne les considérons que sous ce point de vue. Cet
effet causé sur nous, nous y voyons l'intention de l'acte et pour
finir nous attribuons à cet homme comme un caractère permanent
le fait d'avoir eu de telles intentions, et désormais nous le
qualifions, par exemple, d' "homme nuisible". Triple
erreur ! Triple méprise, vieille comme le monde ! […].
Ne faut il pas chercher l'origine de toute morale dans ces
horribles petites conclusions : "ce qui me nuit est quelque
chose de mauvais (de nuisible en soi) ; ce qui m'est utile est
quelque chose de bon (de bienfaisant et d'utile en soi), ce qui me
nuit une ou plusieurs fois est hostile en soi et foncièrement;
ce qui m'est utile une ou plusieurs fois est amical en soi et
foncièrement. " O pudenda origo!
Cela ne revient il pas à interpréter les misérables relations
occasionnelles et souvent fortuites d'un autre à nous comme si
ces relations étaient l'essence et le fond de son être, et prétendre
qu'envers tout le monde et envers soi-même il n'est capable que
de relations semblables à celles dont nous avons fait une ou
plusieurs fois l'expérience ? Et derrière cette véritable folie
n'y -a-t-il pas la plus immodeste de toutes les arrière-pensées
: croire qu'il faut que nous soyons nous-mêmes le principe du
bien puisque le bien et le mal se mesurent d'après nous?"
NIETZSCHE Aurore
Livre deuxième paragraphe 102
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= Il
m'a mis une mauvaise note, il se moque de moi, son sourire
en rendant la copie était moqueur, il m'en veut, il me
persécute ... c'est un persécuteur dans l'âme.
N'est-ce
pas se donner une importance, se considérer comme le centre
et finalement faire preuve d'immodestie? En tout cas c'est
certainement réagir, ce n'est pas agir pour faire mieux:
c'est juger en fonction d'une souffrance ressentie.
J'ai
eu une mauvaise note, le professeur m'en veut, il m'en
voudra toute l'année: son essence, ce qui fait qu'il est ce
qu'il est c'est d'en vouloir à tout le monde et à moi
même. Il est mauvais, par conséquent, je suis bon.
Vous trouvez ça drôle?
Nietzsche
nous dit dans le texte à expliquer: "c'est une
véritable folie."
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= Lisons
le texte ensemble:
comment
nous comportons-nous: quelle est notre attitude, notre
réaction, notre comportement en réaction à une action qui nous
atteint?
de
notre entourage: ce qui
fait de cet homme notre prochain: très rapproché de nous de
telle manière que ses actes nous atteignent. Nous en supportons
les effets, en un mot ce sont des passions. Nous souffrons de
l'action du prochain, du voisin...
Par exemple: celui qui, en classe derrière moi ,n'arrête pas de
tapoter son bureau avec son stylo. Il est agaçant par essence.
Parfois je transforme mon agacement en "effet" d'une
intention me visant.
tout
d'abord: en premier,
avant tout: au lieu de le considérer pour ce qu'il est, comme une
manifestation d'une individualité qui donne une valeur à l'acte.
résulte
pour nous: nous jugeons
en fonction de l'utilité ou de la nuisance provoquée sur nous
par l'acte: parce que nous souffrons. Nous considérons surtout
l'effet de l'acte sur nous.
nous
y voyons: nous lui
donnons un sens, une orientation, une signification, nous
l'interprétons: le prochain a voulu nous nuire! Nous n'imaginons
pas que c'est peut être un dommage collatéral que nous avons
subi.
pour
finir: au bout du
processus de l'interprétation, nous attribuons, nous portons un
jugement: cet homme est nuisible par essence. Il est méchant.
triple
erreur: l'effet est attribué à une intention, il l'a fait
exprès! il y a une généralisation, une induction illégitime:
il fait toujours ainsi. Enfin un jugement: c'est un homme
nuisible.
triple
méprise: on confond: on
prend une chose (ce qui est subi) pour une autre (effet d'une
intention malveillante).
vieille
comme le monde: qui a le
même âge que le monde, vieille comme la morale.
ne
faut-il pas: question
rhétorique: il faut.
l'origine: la
naissance et non le fondement.
toute
morale: toute forme de
morale du ressentiment, de ceux qui souffrent.
petite: qui
manque de générosité, qui témoigne d'une forme d'avarice, qui
juge tout en fonction du simplement utile, qui manque de grandeur.
conclusions: la
conclusion résulte d'un enchaînement déductif opéré par un
raisonnement. Tout dépend du point de départ. Si le point de
départ est confus, la conclusion sera confuse, elle errera. Ici,
le point de départ du raisonnement est le résultat d'une
confusion, d'une méprise.
nuit: ce
qui me fait du mal, à moi et rien qu'à moi.
quelque
chose: on érige en
réalité extérieure à nous un sentiment: on voit que pour
l'auteur le ressentiment enfante des valeurs: le bien et le mal.
Vers
la page 2
Joseph Llapasset
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