"Abordons
la question du rapport de l'homme et son entourage naturel ou
social. Il y a là-dessus deux vues classiques.
L'une consiste à traiter l'homme
comme le résultat des influences physiques, physiologiques et
sociologiques qui le détermineraient du dehors et feraient de lui
une chose entre les choses. L'autre
consiste à reconnaître dans l'homme, en tant qu'il est esprit et
construit la représentation des causes mêmes qui sont censées
agir sur lui, une liberté acosmique.
D'un côté l'homme est une partie du
monde, de l'autre
il est une conscience constituante du monde. Aucune de ces deux
vues n'est satisfaisante. A la première
on opposera toujours d'après
Descartes que, si l'homme était une chose entre les choses, il ne
saurait en connaître aucune, puisqu'il serait, comme cette chaise
ou comme cette table, enfermé dans ses limites, présent en un
certain lieu de l'espace et donc incapable de se les représenter
tous. Il faut lui reconnaître une manière d'être très
particulière, l'être intentionnel,
qui consiste à viser toutes choses et à ne demeurer en aucune.
Mais si l'on voulait conclure de là que, par notre fond, nous
sommes esprit absolu, on rendrait incompréhensibles nos attaches
corporelles et sociales, notre insertion dans le monde, on
renoncerait à penser la condition
humaine."
Maurice Merleau Ponty
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= J'ai beau
me dire que j'ai un corps, je sais très bien que je n'ai
pas un corps comme j'ai cette table ou cette chaise. Entre
le corps et moi il n'y a pas un rapport de possédant à
possédé, de constructeur à construit, mais il y a un
rapport d'être qui fait que je suis mon corps. Merleau
Ponty appelle cela le corps propre. Ce qui revient à dire
que le rapport du sujet et de l'objet n'est plus le rapport
d'un spectateur à un spectacle qui l'a constitué, mais un
rapport d'être. Le sujet est son corps, sa situation...
A partir de l'exposé de la thèse matérialiste et de la
thèse idéaliste, sur le rapport de l'homme et du monde,
Merleau Ponty marque son désaccord et leur fait des
objections. Ainsi il dégage sa propre thèse sur la
conscience et le lien qu'elle entretient avec son pas des
causes déterminantes, mais des conditions qu'elle se
représente.
Sa thèse permet effectivement de penser la condition
humaine: non pas un sujet architecte de son monde, or de son
monde mais, une insertion.
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Lisons le
texte ensemble:
rapport : Merleau Ponty est un
philosophe qui s'intéresse au lien: l'homme s'engage par un acte
qui prend pour ainsi dire en charge le monde et la société.
Ce rapport a été défini par deux thèses opposées: toutes les
deux son classiques au sens qu'elles ressurgissent sans cesse dans
un affrontement dialectique infini.
l'une
: consiste à considérer que le rapport est un rapport
de causalité: l'homme est un effet, un résultat, réductible à
la nature physique, au fonctionnement des organes et à la
société. La source de l'existence serait ailleurs que dans
l'existence, soi bien que l'homme ne serait qu'une partie du
monde, une chose parmi les choses.
L'autre
: nous jette dans la thèse opposée au matérialisme,
l'idéalisme: l'homme est à l'origine du monde: il est donc hors
du monde comme un créateur. C'est un architecte qui construit,
détermine, et donc échappe à sa construction comme l'architecte
n'est pas aliéné au plan qu'il trace. Chez l'homme,
l'équipement c'est l'entendement constructeur, la sensibilité et
la raison qui pense en s'élevant vers les idées.
représentation
des causes : la représentation c'est la chose
présente à la conscience: en se représentant les causes,
l'homme s'en détache, les met à distance. A partir de là, elles
deviennent des conditions dont il devra tenir compte mais qui ne
sauraient le déterminer.
partie
du monde
: un élément, un simple objet issu d'un processus
causal antécédent.
de
l'autre
: du côté de l'idéalisme classique qui affirme un
sujet par rapport à qui tout est relatif: l'idéalisme pose la
primauté de la pensée et du sujet connaissant.
conscience
: ici un sujet qui est à l'origine de son monde. Kant
écrivait : le sujet ne retrouve dans l'objet que ce qu'il y a
mis.
satisfaisant
: on ne peut être satisfait par aucune de deux
thèses.
opposera
: on opposera à la première.
chose
entre les choses : une partie de la nature, un objet.
table,
chaise
: Merleau Ponty écrit à son bureau: une chaise est
enfermée dans le concept à partir duquel on l'a délimitée,
elle n'existe pas pour soi, elle ne peut sortir de soi pour se
représenter.
lui
reconnaître
: il est absolument nécessaire de reconnaître la
conscience.
manière
d'être
: la conscience est un acte de transcendance. Toute
conscience est conscience de quelque chose.
intentionnel
: ce qui est tel qu'il vise un objet: la conscience
vise un objet, le pense et le porte en elle même, cet objet
pensé (cogitatum).
mais :
Merleau Ponty voudrait bien que l'idéalisme n'aille pas trop
loin: il ne s'agit pas de déduire de l'intentionnalité de la
conscience que l'esprit est absolu et hors du monde. En effet il y
a toujours ce qui nous relie au corps propre et ce qui nous insère
dans le monde.
condition
humaine : non pas une nature humaine mais ce qui
accompagne nécessairement une existence, ce qui lui est
nécessairement relié: la condition humaine. Ainsi l'idéalisme
est allé trop loin, il n'a pas vu que l'existence se déploie
dans des conditions sans lesquelles elle ne se déploierait pas.
L'homme n'est donc pas une substance pensante, ou encore un
élément de la nature. C'est une conscience impliquée dans un
monde, incarnée, ou si l'on préfère un ensemble de
significations dont elle est la source absolue. Mon existence n'a
pas de cause antécédente, c'est plutôt elle qui va dans un acte
vers les conditions et les soutient.
"Je
suis la source absolue, mon existence ne vient pas de mes antécédents,
de mon entourage physique et social elle va vers eux et les
soutient" . Merleau Ponty, Phénoménologie
de la perception, Avant-propos.
Bonne
continuation.
Joseph Llapasset ©
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