"Ce ne sont
pas nos sens qui nous trompent, mais c'est notre volonté qui nous
trompe par des jugements précipités. Quand on
voit, par exemple
de la lumière, il est très certain que l'on voit de la lumière;quand
on sent de la chaleur on ne se trompe point de croire que l'on en
sent,[...]. Mais on se trompe quand on juge que la chaleur que
l'on
sent est hors de l'âme qui la sent[...]. Les sens ne nous
jetteraient donc point dans l'erreur si nous faisions bon usage de
notre liberté, et si nous ne nous servions point de leur rapport
pour juger des choses avec trop de précipitation. Mais parce
qu'il est très difficile de s'en empêcher; et que nous y sommes
quasi contraints à cause de l'étroite union de notre âme avec
notre corps, voici de quelle manière nous nous devons conduire
dans leur usage pour ne point tomber dans l'erreur. Nous devons
observer exactement cette règle de ne juger jamais par les sens
de ce que les choses sont en elles mêmes, mais seulement du
rapport qu'elles ont avec notre corps."
Malebranche.
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= On
peut dire aussi souvent qu'on le veut que la lumière
éclaire, on n'en déduira jamais rien sur ce que cela est
la lumière. C'est que nous parlons de l'effet sensible de
la lumière sur nous et du rapport qu'elle a avec la
sensibilité de note corps: nous ne jugeons pas de ce
qu'elle est.
L'erreur
vient de ce que nous affirmons plus que les apparences: je
peux me fier aux apparences à condition de leur garder le
statut d'apparences.
Ce qui nous trompe ce n'est donc par l'apparence mais notre
hâte à juger qui nous pousse à utiliser ce que nous
voyons, ce que nous sentons pour en tirer des connaissances
des choses.
Or il est impossible de nier que les connaissances sur la
lumières ont commencé à partir du moment où on a cessé
de répéter bêtement: la lumière éclaire; à partir du
moment où on a commencé à émettre des hypothèses, par
exemple, la lumière est-elle formée d'ondes? La lumière
est-elle formée d'une entité à deux faces à la fois onde
et corpuscule?
Ainsi
Malebranche s'en prend à l'opinion qui transforme le
visible en connaissance. La seule connaissance que nous
donne l'opinion c'est qu'elle est proférée. Elle existe
d'une certaine manière au moment même où elle est
affirmée.
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= Lisons
le texte ensemble:
=> Malebranche
commence par attribuer l'erreur non pas au sens mais à la
volonté qui affirme plus que ce qu'elle ne sait.
sens: nos
organes récepteurs du corps, la vue, l'ouïe ...
trompent: ne
nous induisent pas en erreur.
notre
volonté: l'usage que
l'on en fait pour prononcer un jugement.
jugements: lorsque
nous relions deux concepts ou deux choses, sans prendre le temps,
en toute hâte. Nous jugeons, c'est à dire, nous relions des
données sensibles à des choses. Mais nous confondons ce que nous
éprouvons avec ce que la chose est réellement. Ainsi nous
commettons une erreur. Par exemple, je sens de la chaleur et je
dis: le liège est froid... Alors que si je prenais le temps de la
réflexion, je dirais: le liège me semble chaud au toucher de ma
main droite bien qu'il soit à la même température que le marbre
qui touche mon autre main.
=> En quoi
nos sens ne nous trompent pas: on voit ce que l'on voit, on
sent ce que l'on sent: nous sommes certains d'éprouver. Ce n'est
pas une erreur si on s'en tient à l'apparence. Ainsi celui qui
affirme une opinion saisit la réalité de cette opinion, il ne
peut douter au moment où il affirme qu'il l'affirme. Ce que nous
sentons, ce que nous voyons, ne nous trompe donc pas.
=> Mais,
introduit: pourquoi c'est notre volonté qui nous trompe.
on
juge: acte de la
volonté par lequel elle affirme un rapport entre deux concepts,
entre des choses, entre des idées.
la
chaleur que l'on sent: que
l'on éprouve sans pouvoir douter qu'on l'éprouve.
hors
de l'âme: nous jugeons
à tort qu'elle est dans l'objet: c'est le liège qui est chaud.
Or la chaleur est une sensation, ce n'est pas un objet.
ne
nous jetterait pas: Malebranche
établit le début de son texte: ce ne sont pas nos sens qui
nous trompent.
bon
usage de notre liberté: c'est notre volonté qui est
libre; par elle nous avons le pouvoir d'affirmer.
servions: nous
n'utilisons pas ce que les sens nous rapportent, c'est chaud, par
exemple.
juger: décider
de ce que sont les choses en elles mêmes.
Le rapport des
choses à notre corps
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Joseph Llapasset
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