"Les uns
identifient le bien au plaisir; d'autres, au contraire, l'assurent
foncièrement mauvais ; les uns, sans doute par conviction intime,
les autres, à la pensée qu'il vaut mieux, vu les conséquences
pour notre vie, le rejeter, vaille que vaille, au nombre des vices
: la foule n'est déjà que trop portée à s'asservir aux
plaisirs, mieux vaut donc s'engager sur la voie opposée :
puisse-t-elle ainsi atteindre un juste milieu.
Mais c'est bien mal raisonner. Car en matière d'affections et
d'actions les paroles ont moins de force persuasive que les actes,
et lorsqu'elles sont en désaccord avec les données de la
sensation, on les rejette, et, avec elles, la part de vérité
qu'elles contiennent. Qu'un jour on surprenne le censeur des
plaisirs à en rechercher un, on en conclura que tout plaisir mérite
d'être poursuivi, car il est des distinctions que n'opère pas la
foule. Il est donc préférable de toujours dire la vérité, en
morale comme en science ; seules les paroles véridiques ont force
oratoire ; conformes au réel, elles peuvent inciter ceux qui les
entendent à y conformer leur vie."
ARISTOTE, Ethique à Nicomaque, Livre X, 1172a27-1172b7
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= Nous
rions au théâtre lorsque nous voyons un moraliste
sourcilleux, tel Tartuffe, courir après la première venue ou
même après la mère et la fille. Rousseau dit quelque part
que le peuple ne suit pas les discours moralisateurs et s'en
rie.
L'histoire
nous apprend que les sectes les plus rigides ont fini par
tomber dans les orgies qu'elles condamnées. Comment croire
que tous les plaisirs sont mauvais! Ne faut-il pas les
distinguer? Peut-on les mettre tous dans le même sac en
déclarant que les plaisirs sont mauvais.
Mais
comment faire avec une foule qui ne sait pas distinguer?
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= Lisons
le texte ensemble:
les
uns: par exemple, alors
que pour Socrate le bien c'est d'abord la maîtrise de soi: le
sage est celui qui se domine, se commande à lui même et ne cède
pas à ce qui le dégraderait en l'asservissant, pour Caliclès de
Platon dans Gorgias, Les Belles Lettres, page 174:
"Pour bien vivre il faut entretenir en soi les plus fortes
passions au lieu de les réprimer: à ces passions il faut
procurer tout ce qu'elles désirent."
d'autres: il
s'agit par exemple,de moralistes grincheux qui condamnent le
plaisir.
l'assurent: assurent
qu'il est mauvais.
foncièrement: radicalement,
à la source.
les
uns: ceux qui identifient le bien au plaisir parce que
sa seule expérience suffit pour éprouver une satisfaction.
par
conviction: par
expérience, intime au plus profond d'eaux même dans ce qu'ils
éprouvent.
les
autres: ceux qui
condamnent le plaisir.
à
la pensée: parce qu'ils
ont cette pensée.
il
vaut mieux: il est
préférable.
le
rejeter: de le refuser,
de s'en détourner, en le classant parmi les vices.
vu: étant
donné que
les
conséquences: la servitude attachée à la poursuite
des plaisirs.
vaille
que vaille: autant que
cela peut être fait car la chair est faible.
vice: disposition
acquise, habitude de faire le mal: mentir, jouer, s'adonner à la
débauche dans des orgies.
conséquences: ce
que les plaisirs entraînent: une mauvaise santé, un excés de
poids, de mauvaises habitudes, un relâchement de la volonté et
donc la paresse...
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Joseph Llapasset ©
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