"Les uns
identifient le bien au plaisir; d'autres, au contraire, l'assurent
foncièrement mauvais ; les uns, sans doute par conviction intime,
les autres, à la pensée qu'il vaut mieux, vu les conséquences
pour notre vie, le rejeter, vaille que vaille, au nombre des vices
: la foule n'est déjà que trop portée à s'asservir aux
plaisirs, mieux vaut donc s'engager sur la voie opposée :
puisse-t-elle ainsi atteindre un juste milieu.
Mais c'est bien mal raisonner. Car en matière d'affections et
d'actions les paroles ont moins de force persuasive que les actes,
et lorsqu'elles sont en désaccord avec les données de la
sensation, on les rejette, et, avec elles, la part de vérité
qu'elles contiennent. Qu'un jour on surprenne le censeur des
plaisirs à en rechercher un, on en conclura que tout plaisir mérite
d'être poursuivi, car il est des distinctions que n'opère pas la
foule. Il est donc préférable de toujours dire la vérité, en
morale comme en science ; seules les paroles véridiques ont force
oratoire ; conformes au réel, elles peuvent inciter ceux qui les
entendent à y conformer leur vie."
ARISTOTE, Ethique à Nicomaque, Livre X, 1172a27-1172b7
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= Lisons
le texte ensemble: (suite)
vices: disposition
habituelle à commettre des fautes. Comme si c'était devenu une
seconde nature déterminante.
=> Pour
Aristote c'est une erreur de rejeter tous les plaisirs, le plaisir
en général. Par exemple, les plaisirs de l'esprit, des facultés
spirituelles de l'homme peuvent donner des joies les plus grandes:
l'acte de comprendre lorsqu'il est exercé est couronné par une
grande joie. "Et puisque nous voyons que le plaisir doit
être associé au bonheur, la plus agréable de toutes les
activités conforme à la vertu se trouve être celle qui est
conforme à la sagesse." Aristote.
Comprenons que pour Aristote le plaisir est ce qui accompagne et
parachève un acte: dans le cas de la sagesse il s'agit de la
contemplation.
la
foule: l'ensemble de ceux qui ne réfléchissent pas.
trop: avec
démesure.
portée: poussée
à, encline à...
s'asservir: c'est
la principale accusation portée contre le plaisir: on devient
esclave des plaisirs, on finit par leur sacrifier tout. Le plaisir
devient un maître par l'habitude. Pour l'auteur, ce n'est pas le
cas de tous les plaisirs.
s'engager: quand
on veut s'écarter, contrebalancer une force, il vaut mieux tirer
en sens inverse, exagérer, aller sur la voie opposée.
puisse-t-elle: Aristote
fait parler les moralistes qui souhaitent qu'un équilibre
résulte de l'opposition des deux forces: d'une part la force du
plaisir et d'autre part la force de la privation.
En effet, la
sagesse est dans le juste milieu, ni trop ni trop peu. Ceux qui
renoncent au plaisir cèderont bien de temps en temps, mais leur
renoncement leur évitera l'excès des plaisirs selon la thèse
des moralistes.
Aristote va réfuter cette thèse.
mais: au
contraire, pense Aristote.
mal
raisonner: ne pas
enchaîner correctement son discours, mal calculer. Mentir n'est
pas un bon calcul. Ce n'est pas en s'engageant dans la voie
opposée que la foule gardera le juste milieu. En effet, d'un excès,
rejeter toute forme de plaisir, il ne peut sortir une juste
mesure; en effet la juste mesure exige la vérité, un discours
bien ajusté à la réalité.
car: les
moralistes raisonnent mal parce que ...
en
matière: lorsque l'on
parle d'affections et d'actions.
affections: ce
qui affecte, ce qui permet d'éprouver des satisfactions.
et
d'actions: de ce qu'il faut faire, de devoir.
les
paroles: celles que
prononcent par exemple les moralistes grincheux.
ont
moins de force: ont
moins d'effet sur ce que la foule pensera et fera: ce sera moins
persuasif que les actes accompagnés de plaisirs!
lorsqu'elles: lorsque
les paroles sont contredites par les données de l'expérience,
par la jouissance incontestable que donnent les plaisirs. Cette
jouissance contredit le discours qui déclare mauvais tous les
plaisirs.
les
données de la sensation: ce
qu'éprouve celui qui sent un plaisir, au moment où il le sent.
on
les rejette: les
moralistes espéraient que l'on rejetterait le plaisir: ce n'est
pas le plaisir que l'on rejette mais les faux discours des
moralistes.
la
part de vérité: il y a
bien une part de vérité dans le discours des moralistes: il est
vrai pour certains plaisirs asservissants qui doivent être
rejetés.
qu'elles
contiennent: le discours
des moralistes n'est pas complètement faux. Mais il y a des
plaisirs humains qui sont bons, comme ceux de la vie
contemplative.
on
surprenne: si on prend
par surprise quelqu'un qui prêche le refus du plaisir, en
train d'en jouir...
le
censeur: précisément
celui qui voudrait couper, éradiquer de la foule la recherche du
plaisir.
en
recherche un: fait tout ce qu'il peut pour avoir un
plaisir alors qu'il a condamné la recherche du plaisir.
on
en conclura: la
foule en déduira pour sa propre gouverne.
tout
plaisir: n'importe quel
plaisir doit être poursuivi.
=> Aristote
pense que celui qui ment, pour peu qu'il soit surpris, obtient le
contraire de ce qu'il cherchait. Il était plus sage de distinguer
les plaisirs qui déçoivent et les plaisirs source de joie qui
libèrent. Il fallait faire confiance à la foule, ne pas la
mépriser. Celui qui s'aperçoit qu'on cherche à le manipuler
tombera dans l'excès dont on voulait le détourner!
donc: en
conséquence, il vaut mieux...
dire
la vérité: prononcer
un discours ajusté à la réalité, distinguer ce qui est bon de
ce qui est mauvais. En déduire que ce n'est pas tous les plaisirs
qu'il faut rejeter. Dire la vérité est libérateur car c'est
ouvrir une route possible parce qu'elle correspond au
réel.
en
morale: lorsqu'on parle
de ce qui doit être fait, du bien et du mal.
en
science: dans la
connaissance.
force
oratoire: contrairement
aux paroles des moralistes qui cachent la vérité, la parole
véridique a la force de convaincre parce qu'elle est ajustée à
la réalité: ceux qui les entendent, dans leur expérience en
éprouvent la vérité. La vertu leur semblant possible, ils
pourront ainsi conformer leur vie à ces paroles de vérités.
page
1 et page 2
Bonne
continuation
Joseph Llapasset ©
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