"J'aime
assez qu'en (=
au sein de) une
oeuvre d'art on retrouve ... le sujet même de cette oeuvre."
disait en 1893 André Gide. Il définissait ainsi ce qui
existait déjà en peinture et en littérature et donnait à
l'opération le nom de mise en abyme.
Page
15, de "Ils
arrivent"
...
à "Ils
entrent dans la maison."
Dans
les six répliques qui, maintenant, vont retenir notre
attention, on retrouve effectivement le sujet de la pièce Oncle
Vania:
- Une intrusion dans un espace de vie bien réglée (le samovar,
le thé ...) et un départ. On entre et on sort. La mise en
abyme a tout à fait sa place dans un acte d'exposition qui doit
mettre sur la voie d'un dénouement sans pour cela le révéler
explicitement. Le professeur introduit une tension qui deviendra
insoutenable dans un espace de vie qu'il nie. Le rapprochement
de l'arrivée et du départ, sans que les intermédiaires soient
explicités, sollicite l'attention du spectateur, le plonge dans
un certain malaise et pour ainsi dire le bouscule. Il s'agit de
peindre l'ennui sans pour cela ennuyer le spectateur
- Chaque personnage, par ses paroles et ses gestes (que seul le
spectateur voit) se révèle psychologiquement et révèle rôle
qu'il jouera dans la pièce. Cette mise en abyme est un pur
chef-d'oeuvre car en quelques lignes les intérêts
psychologiques, littéraires et dramatiques sont concernés.
Sonia
se révèle comme la fille appliquée à faire son devoir, à
guider les promeneurs, à contenter son père en lui montrant la
propriété dans ce qu'elle a de plus beau, avec déférence
comme si Sérébriakhov était le seul à pouvoir prétendre en
être le propriétaire et donc à pouvoir la vendre. Tout cela
est fait non sans fierté. Elle annonce une autre promenade vers
la maison forestière, elle est fière de présenter le fruit de
son travail et du travail de son oncle Vania.
Vania,
en annonçant que le thé est servi, suggère d'abord que les
promeneurs se sont faits attendre et qu'il en est irrité (le thé
sera tiède). Et ensuite, il souhaite peut-être prolonger la présence
de la jolie Elena.
Tiéliéguine,
propriétaire ruiné, hébergé avec charité dans le domaine,
fait écho à ce que dit le professeur Sérébriakhov et d'une
certaine manière participe au choeur, comme Marina. Serait-il
prêt à se réjouir de tout ce qu'il entend parce qu'il se
moque de tout et ne s'accroche donc à aucune opinion? Le
miroir, parce qu'il est indifférent peut tout refléter.
Sérébriakhov,
plein de son importance, ne peut donc avoir eu qu'une promenade
digne de lui, prestigieuse à son image. Tout doit être grand
pour les grands qui revêtent de grandeur ce qu'ils regardent.
Il a promené son regard avec admiration sur les étendues présentées:
elles étaient baignées de soleil, de lumière, pleine d'éclats,
resplendissantes.
Sérébriakhov qui vient de prendre sa retraite à plus de 65
ans, fait encore l'important, l'homme occupé qui préfère ses
chères études, son travail, à des considérations banales
autour d'une tasse de thé tiède par sa faute. Notez la
condescendance qui doit exaspérer Vania, le "bureau"
et les formules ironiques parce qu'elles ne reflètent pas la réalité:
"Mes
amis (
sa famille!), je
vous prie"
(alors qu'il s'agit d'un ordre). |