Tchékhov
aimait dire que la principale difficulté c'était de trouver la
fin d'une pièce. Une fin qui soit à la fois ce vers quoi tout
est organisé et un élargissement sans que cela n'enlève rien
au caractère définitif de la fin. C'est, en effet, qu'après
la fin, tout continue et que rien ne se passe plus puisque l'écriture
s'arrête. En nous présentant les personnages qui rentrent dans
l'ordre, se soumettant aux même occupations, il a trouvé cette
fin qu'il cherchait. Un mouvement indéfini, une sorte de
finalité sans fin.
- On peut
donc admirer cette fin d'Oncle Vania. Elle nous permet de mieux
saisir que le thème principal n'est pas la recherche du
bonheur, mais cette aspiration à être plus heureux ensemble,
une attente comme si la vie heureuse des uns devrait
faire la vie heureuse des autres.
- Les
personnages n'ont pu que rater l'oeuvre qu'ils projetaient et
qui pourtant leur paraissait tellement possible, mais ils ne
peuvent renoncer à l'infini, à l'idéal de l'imagination. Tout
ce qui a été perdu, tout ce qui est passé à leur portée
sans qu'ils songent à le saisir, ils l'ont pourtant vu passer
et disparaître parce que la dualité de leur nature les empêchait
de partager, d'avoir ce grain de folie qui sauve la vie.
On peut évidemment
protester contre une telle fin, déclarer que l'aspect religieux
n'ajoute rien à l'intérêt de cette fin, mais on ne peut
ignorer le messianisme de cet aspect religieux: l'acceptation
d'une condition, au nom d'un pari, peut bien sembler folle à un
rationaliste. Il n'en reste pas moins que les dernières paroles
de Sonia marquent à la fois la fin et l'espérance d'un
prolongement.
Si le bonheur est un idéal de l'imagination, si l'imagination
étend la mesure du possible, comment ne serait-il pas nécessairement
manqué: ce qui oriente vers un au-delà qui semble tellement
possible puisqu'il justifie l'injustifiable de la souffrance des
innocents. Les souffrances prennent un sens comme le sacrifice,
si l'amour se nourrit de sacrifices. Elles se noient dans la
charité comme un fleuve orienté dans une mer, elles se perdent
et sont transfigurées un peu comme le mal est transfiguré en
fleur que l'on trouve jusque sur le fumier.
On saisit
alors, en un autre sens, que l'oeuvre de Tchékhov est
bien alors accordée au thème de la recherche du bonheur car le
simple fait de poser ce thème revient à poser le problème de
la possibilité ou de l'impossibilité d'une telle recherche
pour un être déchiré entre la pensée qui s'élève à
l'absolu, ce qui a sa raison d'être en soi, et les appétits de
la vie: pétri de beauté et de vulgarité, incapable de nier
l'infini qu'il porte en lui et incapable de s'en débarrasser,
alors même qu'il se méprise... c'est assez pour une fin dont
on croit connaître la suite |