° Rubrique Philo-prepas > La recherche du bonheur

PHILOSOPHIE - CLASSES PREPAS par J. Llapasset

La recherche du bonheur

  La recherche du bonheur et l'amour

Chez Tchékhov, Oncle Vania (page 2)

  •  (Tchékhov) (Traduction d’André Markowicz et Françoise Morvan - Editions Actes Sud Babel). 

Site Philagora, tous droits réservés ©
_____________________________________________
 

 

Dans la pièce de Tchékhov, Oncle Vania, trois hommes convoitent la superbe Elena: ils croient poser deux termes distincts, le soi et l'objet aimé alors qu'ils projettent un objet, un avatar, par lequel ils se séparent définitivement de la femme. Comiquement ou tragiquement ils exercent sur Elena une action négatrice comme s'ils lui faisaient porter le poids de leur propre fardeau, de leurs échecs et de leur impuissance. Ils ne s'accordent que sur l'effet premier produit sur eux par sa beauté et un reste de jeunesse.

Pour Vania le deuxième terme dont il attend le bonheur relève bien d'une projection: pour lui, Elena c'est la liberté au sein de l'onde, ce mirage qui attire en fuyant et charme le mortel par la beauté, une sirène à qui il faudrait un génie des eaux, certainement pas le génie des bois qu'est Astrov. En lui disant, à la fin de l'acte I, "Vous êtes mon bonheur" il signifie tout ce qu'il attend d'elle si elle cède, un bonheur de vivre l'un pour l'autre. Un peu plus loin il affirme que si elle l'écoute, lui parler de son amour serait déjà le plus grand des bonheurs. Son insistance a la cruauté des prédateurs et Elena, dans un cri met en évidence l'action réelle de Vania: il la torture. Plus loin Vania lui barre le chemin montrant qu'il en veut à sa liberté, sa liberté de s'enfuir.

Sérébriakov: même jeu pour le vieux mari "Je veux vivre" révèle-t-il et être débarrassé de la vieillesse. Que dit-il à son épouse Elena? Qu'elle veut vivre et qu'elle veut être délivrée de la vieillesse qui l'entoure et qu'elle rencontre en son mari. 
Autre projection: "J'ai fini par me dégoûter de moi même" dit le vieillard et que projette-t-il? "Toi la première je te dégoûte."
L'action exercée constamment sur Elena c'est de lui donner des tâches à accomplir: la tyranniser: "tu iras..." et, là encore Elena met en évidence cette tyrannie et ses conséquences: "Il m'a épuisée."

Astrov: devenu incapable de désirer, projette cette incapacité sur le deuxième terme, l'avatar, l'objet qui, pour lui, représente Elena: elle est "superbe", magnifique, non sans quelque froideur: Astrov projette l'effet que lui fait la beauté physique: une promesse de plaisir, c'est tout, tout juste bonne à satisfaire un besoin. Incapable d'aimer, car il lui manque la fougue du désir et de la chasse amoureuse. Il finit par la voir cynique. Autant de  projections.
Et lorsqu'il envisage un rapport, il ne s'agirait pas de vivre l'un pour l'autre mais d'une brève relation, même pas une fête de la chair. D'ailleurs au moment où il a gagné, il s'en va.

Elena, loin d'être une sirène à ses yeux, n'est qu'une sorcière qui jette des charmes, qui séduit. A l'Acte III de la pièce, il la voit comme un rapace, puis une fouine sanguinaire, dernières projections d'Astrov qui se révèle pleinement en exerçant un chantage. L'animal prédateur c'est la face d'ombre d'Astrov: la lutte contre les flammes destructives n'est pas sans une complicité secrète