Dans
la pièce de Tchékhov, Oncle Vania, trois hommes
convoitent la superbe Elena: ils croient poser deux termes
distincts, le soi et l'objet aimé alors qu'ils projettent un
objet, un avatar, par lequel ils se séparent définitivement de
la femme. Comiquement ou tragiquement ils exercent sur Elena une
action négatrice comme s'ils lui faisaient porter le poids de
leur propre fardeau, de leurs échecs et de leur impuissance.
Ils ne s'accordent que sur l'effet premier produit sur eux par
sa beauté et un reste de jeunesse.
Pour
Vania le deuxième terme dont il attend le
bonheur relève bien d'une projection: pour lui, Elena c'est la
liberté au sein de l'onde, ce mirage qui attire en fuyant et
charme le mortel par la beauté, une sirène à qui il faudrait
un génie des eaux, certainement pas le génie des bois qu'est
Astrov. En lui disant, à la fin de l'acte I, "Vous êtes
mon bonheur" il signifie tout ce qu'il attend d'elle
si elle cède, un bonheur de vivre l'un pour l'autre. Un peu
plus loin il affirme que si elle l'écoute, lui parler de son
amour serait déjà le plus grand des bonheurs. Son insistance a
la cruauté des prédateurs et Elena, dans un cri met en évidence
l'action réelle de Vania: il la torture. Plus loin Vania lui
barre le chemin montrant qu'il en veut à sa liberté, sa liberté
de s'enfuir.
Sérébriakov:
même jeu pour le vieux mari "Je veux vivre"
révèle-t-il et être débarrassé de la vieillesse. Que dit-il
à son épouse Elena? Qu'elle veut vivre et qu'elle veut être délivrée
de la vieillesse qui l'entoure et qu'elle rencontre en son mari.
Autre projection: "J'ai fini par me dégoûter de moi même"
dit le vieillard et que projette-t-il? "Toi la première
je te dégoûte."
L'action exercée constamment sur Elena c'est de lui donner des
tâches à accomplir: la tyranniser: "tu iras..."
et, là encore Elena met en évidence cette tyrannie et ses conséquences:
"Il m'a épuisée."
Astrov:
devenu incapable de désirer, projette cette incapacité sur le
deuxième terme, l'avatar, l'objet qui, pour lui, représente
Elena: elle est "superbe", magnifique, non
sans quelque froideur: Astrov projette l'effet que lui fait la
beauté physique: une promesse de plaisir, c'est tout, tout
juste bonne à satisfaire un besoin. Incapable d'aimer, car il
lui manque la fougue du désir et de la chasse amoureuse. Il
finit par la voir cynique. Autant de projections.
Et lorsqu'il envisage un rapport, il ne s'agirait pas de vivre
l'un pour l'autre mais d'une brève relation, même pas une fête
de la chair. D'ailleurs au moment où il a gagné, il s'en va.
Elena,
loin d'être une sirène à ses yeux, n'est qu'une sorcière qui
jette des charmes, qui séduit. A l'Acte III de la pièce, il la
voit comme un rapace, puis une fouine sanguinaire, dernières
projections d'Astrov qui se révèle pleinement en exerçant un
chantage. L'animal prédateur c'est la face d'ombre d'Astrov: la
lutte contre les flammes destructives n'est pas sans une
complicité secrète |