Posons
comme points de départ peu contestables
quelques caractéristiques communes au bonheur et à l'amour:
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Bonheur et amour sont recherchés par des êtres
raisonnables sensiblement affectés.
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Bonheur et amour sont intermittents: nous
sommes les intermittents du bonheur et de l'amour.
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L'opinion qui traduit ses besoins en connaissance les confond au
point de croire que celui qui aime est nécessairement
heureux
-
Bonheur et amour tiennent leur "existence" (= être
pour quelqu'un) d'une illusion comme satisfaction imaginaire
d'un désir: désir d'échapper à la solitude comme
discontinuité entre les êtres et soi dans l'amour; désir
d'une rencontre entre soi et un autre terme, désir d'un rapport
entre deux termes dont on attend le bonheur.
De
ces hypothèses, nous pouvons tirer deux conséquences:
-
L'amour pose deux termes distincts et attend de
leur rapport le bonheur: pourquoi pas qu'ils vivent l'un pour
l'autre? (=> Madinier, Conscience et amour).
Retenons seulement que l'amoureux attend le bonheur de rapports
entre le soi et un
objet qu'il a posé. Il ne se contente donc pas
que de lui pour se rendre heureux mais attend le bonheur d'une
rencontre et par là se lie aux vicissitudes de la fortune et à
l'inconstance du désir.
Il
croit échapper à la discontinuité en imaginant un
avatar, le fruit d'une projection. Mais
en mettant son espoir dans le deuxième terme: tout ce qu'il a
été incapable de réaliser, son ennui, ses échecs, son
impuissance, il en attend la réalisation, ce qui est un
processus d'aliénation.
D'ailleurs
puisqu'on ne voit pas les coeurs, force est d'imaginer le deuxième
terme et comme l'imagination étend la mesure du possible, on ne
peut recueillir de l'aventure que des déceptions: dans le pire
des cas, la violence morale en sera la conséquence: le soi tyrannise
Eléna (Sérébriakov), torture (Vania) ou encore exerce
un odieux chantage (Astrov).
Première
conséquence.
En posant deux termes distincts l'amour ne pose-t-il pas
du même coup une discontinuité qui renvoie chacun à soi? En
demandant à un autre terme un rapport amoureux pour
avoir le bonheur dans un attachement réciproque,
n'est-on pas en train de s'engager dans une relation d'affaires,
dans un échange commercial?
Ce
qui se forme en réalité c'est une passion: un asservissement
à une croyance, puisque le deuxième terme (l'avatar que l'on
construit) n'est qu'une croyance
Deuxième
conséquence.
Si l'amour est rêvé comme union libre,
il faut bien que d'une part soit refusée la dualité qu'il a
commencé par poser (deux êtres distincts).
Mais
d'autre part, il faut que cette dualité soit acceptée pour
qu'il y ait la liberté dans l'union.
L'objet, l'avatar, est une projection de soi ce qui permet la
fusion et la disparition de la discontinuité; mais l'amoureux
doit pressentir que l'objet n'est qu'un mirage, un être de
fuite sous peine de ne plus le désirer. Alors il ne peut s'agir
d'un acte mercantile. Au don de soi correspond un don de soi: au
lieu de se regarder selon l'ordre de l'avoir, on regarde
dans la même direction |