N'est-ce
pas manquer à la prudence et suivre l'opinion
que d'identifier la recherche du bonheur à la recherche de
l'amour?
N'est-ce
pas manquer de logique que d'identifier la
recherche du bonheur à la recherche de l'amour libre?
Ces deux problèmes exigent au moins une réflexion sur l'amour
et sur ses avatars.
Dans
l'amour un être raisonnable sensiblement affecté trouve le
plaisir qui accompagne la satisfaction d'un besoin, mais parfois
s'oriente vers un objet qui lui semble unique et qu'il désire.
Dans ce dernier cas l'objet aimé est aussitôt paré, par le rêve,
du pouvoir de conjurer cette peur de la solitude, de la
discontinuité des êtres, au creux de l'existence humaine. Voilà
l'amoureux plongé dans la misère avec l'espoir de prendre
possession d'un bien prodigieux, un trésor qui le sortirait de
sa misère: le voilà à la fois malheureux car son présent est
désespéré par l'espoir de trouver l'or qui lui permettra de
tout changer à son gré et le voilà transformé en chercheur
d'or enthousiaste car il ne doute pas d'obtenir dans cette
recherche le bonheur et l'amour, dans tous les cas une
reconnaissance dans tous les sens du terme. L'objet de l'amour
ne sera-t-il pas possédé à partir du moment où on lui donnera
une main. Ainsi dans La Princesse de Clèves
de Madame de La Fayette, le Prince, tombé amoureux de la jeune
et jolie Mademoiselle de Chartres ne songe plus qu'à demander
sa main pour l'avoir tout à lui: comme si l'amour ne
relevait pas du désir et de la liberté mais d'un contrat, d'un
échange, d'une relation d'affaires; comme si la volonté
pouvait décider du désir en fonction du mérite de l'époux.
Mais
la confusion de l'être et de l'avoir a pour conséquence la
mort du désir et l'asservissement: celui qui ne sait pas défaire
ce qu'il a créé avec son imagination ne peut plus dire que
"J'ai été". La vérité, c'est ce que j'ai écrit,
prétend le sophiste. La recherche du bonheur comme la recherche
de l'amour, ainsi mal orientées, ne sauraient donc aboutir sans
disparaître dans les sédiments de l'avoir ou du quotidien. Ce
qui revient à dire que si le désir engendre la recherche;
croire que la recherche peut aboutir c'est s'orienter vers la
disparition de la liberté avec la mort du désir dans la satiété.
La recherche du bonheur prend donc toujours un caractère
initiatique, celui d'une révélation: en cherchant à
avoir, on tournait le dos au bonheur!
Ce qui se révèle c'est le désir de liberté et de beauté
comme orientation vers l'infini: apparaît alors la
signification de cette orientation comme affirmation des valeurs
de pauvreté, comme affirmation de Dieu au delà de toutes les
idolâtries, de toutes les passions honteuses qui demandent tout
à un passé qui n'est plus.
Suivre le divin mais que le divin.
- "Le
sage se contente de lui." Cité par Sénèque,
Lettres à Lucilius, I, IX, 63.
Avons-nous
bien mesuré la profondeur et les conséquences d'une
telle affirmation? Voilà qui nous donne la clé du
comportement du Corsaire (page 373) comme celui
d'Alexis, page 348 dans Le chercheur d'or de
Le Clézio?
Comme si la grande vague du stoïcisme irriguait
l'oeuvre comme un défi au temps. Si rien n'est nécessaire
au sage, c'est que le bonheur est au fond de soi dans
ce pur amour qui enflamme l'âme du désir de beauté
et d'abord de la beauté du monde et l'engage à négliger
tout autre objet dans lequel le mouvement de leur
existence s'engluerait.
Oui, la vérité de l'existence se trouve dans l'intériorité
d'une pensée qui décide de son bonheur en suivant
l'infini qu'elle porte en elle.
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