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PHILOSOPHIE - CLASSES PREPAS par J. Llapasset

La recherche du bonheur

La dualité animus anima: Le Clézio 

(Perspectives par Joseph Llapasset, Le chercheur d’or . Jean Marie Le Clézio) 

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Si le vent ne suffit pas aux êtres épris de liberté c'est parce qu'ils sont eux-mêmes dualité, unité de deux éléments, de deux tendances qui semblent contraires et antagonistes, ce qui les condamne à rechercher grâce à autrui l'harmonie, l'union des contraires. 
Comment cela? 
Pourquoi Alexis ne cesse-t-il pas de rêver de penser à Ouma quand elle est partie, de la désirer comme un être de fuite? Mais la désirer comme ce qui ne sera jamais donné pleinement, vouloir être un centre d'une liberté, est-ce contraire ou contradictoire?

La dualité animus / anima  est en chacun des êtres raisonnables sensiblement affectés.
Animus c'est l'esprit qui sait très bien se servir de la rationalité et de l'intelligence, qui ajuste les moyens à la fin. C'est lui qui entreprend, qui éprouve la joie de se créer en créant, de se choisir en choisissant, de féconder, de souffler où il veut: l'esprit est liberté, soif de liberté, toujours prêt à rompre les amarres ou ce qui risque de l'attacher; il doute, il dépasse: il a le goût de l'aventure et l'horreur de ce qui enchaîne.
Anima c'est la compagne de l'esprit, elle lui est pour ainsi dire attachée par la tête, cette partie de l'être humain qui est ouverture, accueil, sensibilité, sentiment et par là intuition.

Loin d'enfermer chacun dans sa solitude, la dualité de chaque être humain lui permet de communiquer avec autrui, de partager avec lui, de le comprendre et de former des projets communs: c'est ce qui permet la rencontre de deux êtres qui ne sont pas si différents que ça puisque celui chez qui domine animus garde en lui anima qui lui permet de sympathiser avec l'autre, et celle chez qui domine anima porte en elle animus qui lui permet de comprendre l'autre.
Pourtant cette unité de ce qui semble se fuir est constitutive de l'être. Que serait animus sans anima? Que serait anima sans animus? Cela revient à poser la question rhétorique: que serait l'intelligence sans l'intuition sinon une vacuité et que serait l' intuition sans l'intelligence sinon un aveuglement?

La rencontre est ainsi rendue possible par la dualité elle même. En chacun se développe animus et anima comme des plages de rencontres qui permettent l'amour, les projets commun: regarder dans la même direction pour la recherche d'un bonheur partagé, et non plus se regarder comme des objets. Pour Ouma le devoir qu'elle montre, en fuyant, à celui qu'elle aime, à Alexis, c'est la fidélité au meilleur de soi même, à la liberté qui risque toujours de s'engluer dans le piège de l'avoir. Donc, une fidélité à la sincérité.
La dualité animus / anima permet la rencontre en constituant une suite de ponts entre ceux qui s'aiment. Chacun peut alors en se réalisant librement, selon la loi de dichotomie chère à Bergson, réaliser du même coup les conditions de la liberté d'autrui, et participer à l'expansion de cette liberté.

Pour Alexis, Ouma n'est-elle pas sauvage et volontaire comme animus et belle physiquement et moralement comme anima? C'est la beauté de la liberté (Le chercheur d'or, page 213). Ouma, n'est-elle pas à la fois farouche et mobile, comme lui! C'est bien le mobile perpetuum, que chacun des amants réalise. C'est Ouma qui comprend Alexis et est comprise par lui dans son projet existentiel. La compagne idéale avec laquelle il nage: "Nous nageons ensemble" (page 229), la nage étant ici l'expansion d'une liberté partagée: on regarde bien dans la même direction. "L'odeur des poissons nous remplit de bonheur" (page 242).

Ouma comprend Alexis par Animus, par toute la part d'esprit de liberté qu'elle porte en elle, mais elle le rappelle au devoir: le secret de la liberté est de ne jamais s'engluer dans l'illusion de l'avoir et surtout pas dans la possession de ses propres créations. Le rappeler à lui même pour qu'il se détourne des leurres (c'est anima qui dit le devoir, animus dit la loi): le trésor c'est la liberté et il n'y a pas de liberté sans détachement: en disparaissant dans la foule, "Ouma m'a montré ce que je dois faire" (Le chercheur d'or, page 348). S'en aller, s'en aller devient alors une parole de vivant.

Tout dans l'apparence d'Ouma suscite le désir de liberté: corps, cheveux, peau, jupe courte, chemise en haillon, jambe mince, pieds nus. Elle est dégagée de tout impedimenta. "Silencieuse, sur ses gardes, prête à partir" (page 206). 
Alexis a bien rencontré une femme qui partage déjà ses valeurs, une compagne. Cette rencontre était-elle possible sans la dualité animus anima qui fait que chacun peut aimer l'autre, se reconnaître en autrui, sans pour cela perdre son identité?