Si
le vent ne suffit pas aux êtres épris de liberté c'est parce
qu'ils sont eux-mêmes dualité, unité de deux
éléments, de deux tendances qui semblent contraires et
antagonistes, ce qui les condamne à rechercher grâce à autrui
l'harmonie, l'union des contraires.
Comment cela?
Pourquoi Alexis ne cesse-t-il pas de rêver de penser à Ouma
quand elle est partie, de la désirer comme un être de fuite?
Mais la désirer comme ce qui ne sera jamais donné pleinement,
vouloir être un centre d'une liberté, est-ce contraire ou
contradictoire?
La
dualité animus / anima est en chacun des êtres
raisonnables sensiblement affectés.
Animus c'est l'esprit qui sait très bien se
servir de la rationalité et de l'intelligence, qui ajuste les
moyens à la fin. C'est lui qui entreprend, qui éprouve la joie
de se créer en créant, de se choisir en choisissant, de féconder,
de souffler où il veut: l'esprit est liberté, soif de liberté,
toujours prêt à rompre les amarres ou ce qui risque de
l'attacher; il doute, il dépasse: il a le goût de l'aventure
et l'horreur de ce qui enchaîne.
Anima c'est la compagne de l'esprit, elle lui
est pour ainsi dire attachée par la tête, cette partie de l'être
humain qui est ouverture, accueil, sensibilité, sentiment et
par là intuition.
Loin
d'enfermer chacun dans sa solitude, la dualité
de chaque être humain lui permet de communiquer avec autrui, de
partager avec lui, de le comprendre et de former des projets
communs: c'est ce qui permet la rencontre de deux êtres qui ne
sont pas si différents que ça puisque celui chez qui domine
animus garde en lui anima qui lui permet de sympathiser avec
l'autre, et celle chez qui domine anima porte en elle animus qui
lui permet de comprendre l'autre.
Pourtant cette unité de ce qui semble se fuir est constitutive
de l'être. Que serait animus sans anima? Que serait anima sans
animus? Cela revient à poser la question rhétorique: que
serait l'intelligence sans l'intuition sinon une vacuité et que
serait l' intuition sans l'intelligence sinon un aveuglement?
La
rencontre est ainsi rendue possible par la dualité elle même. En
chacun se développe animus et anima comme des plages de
rencontres qui permettent l'amour, les projets commun:
regarder dans la même direction pour la recherche d'un bonheur
partagé, et non plus se regarder comme des objets. Pour Ouma le
devoir qu'elle montre, en fuyant, à celui qu'elle aime, à
Alexis, c'est la fidélité au meilleur de soi même, à la
liberté qui risque toujours de s'engluer dans le piège de
l'avoir. Donc, une fidélité à la sincérité.
La dualité animus / anima permet la rencontre en constituant
une suite de ponts entre ceux qui s'aiment. Chacun peut alors en
se réalisant librement, selon la loi de dichotomie chère à
Bergson, réaliser du même coup les conditions de la liberté
d'autrui, et participer à l'expansion de cette liberté.
Pour
Alexis, Ouma n'est-elle pas sauvage et volontaire comme
animus et belle physiquement et moralement
comme anima? C'est la beauté de la liberté (Le
chercheur d'or, page 213). Ouma, n'est-elle pas à la fois
farouche et mobile, comme lui! C'est bien le mobile perpetuum,
que chacun des amants réalise. C'est Ouma qui comprend Alexis
et est comprise par lui dans son projet existentiel. La compagne
idéale avec laquelle il nage: "Nous nageons ensemble"
(page 229), la nage étant ici l'expansion d'une liberté partagée:
on regarde bien dans la même direction. "L'odeur des
poissons nous remplit de bonheur" (page 242).
Ouma
comprend Alexis par Animus, par toute la part d'esprit
de liberté qu'elle porte en elle, mais elle le rappelle au
devoir: le secret de la liberté est de ne jamais s'engluer dans
l'illusion de l'avoir et surtout pas dans la possession de ses
propres créations. Le rappeler à lui même pour qu'il se détourne
des leurres (c'est anima qui dit le devoir, animus dit la loi):
le trésor c'est la liberté et il n'y a pas de liberté sans détachement:
en disparaissant dans la foule, "Ouma m'a montré ce
que je dois faire" (Le chercheur d'or, page
348). S'en aller, s'en aller devient alors une parole de vivant.
Tout
dans l'apparence d'Ouma suscite le désir de liberté:
corps, cheveux, peau, jupe courte, chemise en haillon, jambe
mince, pieds nus. Elle est dégagée de tout impedimenta.
"Silencieuse, sur ses gardes, prête à partir"
(page 206).
Alexis a bien rencontré une femme qui partage déjà ses
valeurs, une compagne. Cette rencontre était-elle possible sans
la dualité animus anima qui fait que chacun peut aimer l'autre,
se reconnaître en autrui, sans pour cela perdre son identité? |