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Où faut-il chercher l'origine de la passion?
- L'homme peut-il échapper à la passion?
On
remarquera le singulier "la passion"
qui oriente l'attention vers un phénomène (mais la passion
est-elle de l'ordre du phénomène, de l'ordre de ce qu'on
voit?), à comprendre dans son unité. Il n'est
d'ailleurs pas exclu que retrouver la passion dans son unité ce
soit se mettre, du même coup, dans les conditions pour la
saisir en deçà de ses manifestations (les passions diverses
selon l'objet) et du même coup répondre à la question posée.
Car
origine peut alors signifier: ce qui constitue la passion, sa
structure, et ce qui la maintient comme passion dans toutes les
manifestations, dans sa pluralité. Dès lors que nous importent
les manifestations?
Il ne s'agit plus de chercher une multiplicité de causes que
l'on pourrait décliner et classer comme explications ou interprétations
mais d'un commencement, d'un avènement à soi dans un fondement
qui ne saurait disparaître, que l'on ne saurait fuir parce
qu'il est souffrance de soi, épreuve de soi et que, au
fondement de l'objectivité comme soi présent à soi, il ne
saurait être objectivé. La passion aurait pour origine le soi
et pour caractère le désespoir de ce qui ne peut échapper à
soi et trouve donc amers tous les voyages.
Puisqu'on
nous demande de chercher, de nous mettre en quête
de l'origine de la passion, il nous faut donc écarter les
origines causales qui nous entraîneraient dans des explications
et des interprétations comme autant de chemins parallèles qui
ne sauraient se rencontrer et demanderaient à chacun de choisir
et de croire:
La physiologie des passions, l'ignorance et l'illusion, les
pulsions inconscientes et l'imagination ou cette rage de métaphysique
dont l'homme ne se débarrasse jamais et qui l'amène à désirer
l'éternité ... Autant de causes concurrentes qui nous
laisseraient sur notre soif dans notre recherche de l'origine.
La
passion est-elle une simple maladie de l'âme, un désordre
auquel il faut chercher le remède d'un ordre, ce dont on peut
se débarrasser ou est-elle la "maladie à la mort":
la maladie de celui qui ne peut mourir parce qu'il est cloué à
son moi pour l'éternité (Kierkegaard, Traité du désespoir).
Qu'importe l'objet?
Imaginons quelqu'un qui aurait deux passions, il est évident
que chacune en perd de l'intensité et qu'il n'en a aucune: voilà
qui nous oriente vers la passion.
Qu'importeraient les objets si la passion est avant tout une
forme. La formulation du thème ( la ) ne nous
invite-t-elle à nous tourner vers une forme sans nous laisser
distraire dans notre enquête par les contenus que la
multiplicité et les variations disqualifient pour nous qui
cherchons un ou des caractères de cette forme. Seule la forme
nous permettra une bonne définition correspondant "à ce
que cela est".
Il faut donc nous tourner résolument vers la passion non pas
comme un phénomène qui apparaîtrait toujours divers à la
transcendance d'un regard, un phénomène mondain aux rivages de
lumière, mais comme un sentiment dont l'essence est
l'affectivité qui, dans l'impossible effort pour échapper à
l'épreuve de soi qui la constitue, explose en une force qui
fait de la passion le moteur de toute action: le grand vent qui
souffle dans les voiles. S'éclaire alors le rapport qui unifie
ce qu'un dualisme vulgaire distingue: l'épreuve, le souffrir et
le fait souvent constaté que cette souffrance s'accompagne
d'action, au point que rien de grand ne s'est fait sans passion.
En
conséquence, nous la chercherons aussi dans les coeurs simples,
à l'origine de ce moi qu'un seul soupir résume, dans ceux qui
nous font voir l'invisible, et dans la gnose des simples
dirait Michel Henry.
L'enjeu, c'est l'objet qui a l'immensité de
tout ce qui existe et de ce sans quoi rien n'existerait.
Le problème n'est rien d'autre que ce dans
quoi nous sommes engagés, un mystère: l'incarnation.
Comme instrument méthodologique, la passion
doit nous permettre de mieux nous reconnaître dans une
monstruosité que La métamorphose de Kafka met en scène:
porteur d'un Infini que nous ne pouvons fuir que par de
l'errance et du divertissement, infini qui aspire à un absolu
qu'il ne peut atteindre et qui dans les vies les plus médiocres
et les plus simples fait souffler un vent paradoxal de plénitude
perdue: une vocation dans l'ignorance de qui appelle et le déchirement
de l'étrangeté du monde: une blatte métaphysique! |