Pour
qu'un échange soit juste, il faut que celui qui donne
reçoive au moins autant que ce qu'il abandonne; pour qu'il soit
avantageux, il faut et il suffit qu'il reçoive plus.
*Au chapitre VIII du Llivre I, Rousseau détermine l'état civil
légitime par son fondement en l'opposant à la fois, à l'état
de nature et au premier contrat social dont l'idée a germé
chez le riche pressé par le besoin de se défendre.
Distinguons bien:
-
Dans
l'état de nature, l'homme vit dans les
limites du seul instinct physique, dans l'équilibre de deux
forces: l'amour de soi et la pitié, dans la répétition du
même, sans devenir.
-
Par
le premier contrat social, invention des
nouveaux riches, il vit dans une histoire selon le
paraître, l'amour propre et la pitié pour soi (lire la
formation de ce premier contrat dans Pléiade, III, page
177).
-
Voici
maintenant le Contrat social comme modèle
rationnel qui ouvrirait une autre voie, celle de la légitimité,
de la liberté et de l'égalité. Par un pacte les hommes
font cesser la guerre générée par le premier contrat
social. Du contrat social pense un pacte comme
accord qui est du même coup un contrat social et
constituerait une communauté qui se donne des lois par tous
et pour tous.
Ce
serait le passage de l'inégalité et du paraître à l'égalité
et à la transparence de l'être de raison: chacun est sujet de
droits qui se lie aux autres par l'obéissance à la loi. Il est
en même temps législateur, citoyen: l'obéissance à la loi
qu'il s'est prescrite est liberté (distinguons la loi
fondamentale ou constitution et les décrets.)
Mais, ce pacte est-il avantageux pour chacun ?
"Réduisons
(1) toute cette balance à des termes faciles à
comparer. Ce que l'homme perd (2) par le contrat
social, c'est sa liberté naturelle (3) et un droit
illimité à tout ce qui le tente et qu'il peut
atteindre ; ce qu'il gagne (4), c'est la liberté
civile (5) et la propriété de tout ce qu'il possède.
Pour ne pas se tromper dans ces compensations, il faut
bien distinguer la liberté naturelle qui n'a pour
bornes que les forces de l'individu, de la liberté
civile qui est limitée (6) par la volonté générale,
et la possession qui n'est que l'effet de la force ou
le droit du premier occupant, de la propriété (7)
qui ne peut être fondée que sur un titre positif.
(8)"
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1
= Réduisons = Rousseau fait
participer le lecteur à l'opération: réduire, pour Rousseau,
c'est simplifier ce qui est complexe. On ne peut comparer deux
multiplicités: il faut comparer par rapport à un terme choisi:
ici la liberté et la liberté par rapport à l'action de
prendre, d'avoir, de posséder.
2
= perd = Ce à quoi il renonce, ce
qu'il abandonne en échange de.(Encore des termes de l'avoir)
3
= liberté naturelle = De prendre
tout ce qu'il peut atteindre: dans l'état de nature la liberté
naturelle est théoriquement illimitée, pratiquement nulle pour
peu qu'on rencontre plus fort que soi, plus nombreux, plus rusé,
plus rapide ...
4
= gagne = Ce qu'il reçoit en échange.
(gagner marque la valeur, l'avantage: c'est un gain.)
5
= liberté civile = La liberté
d'un sujet de droits. Attention au contresens: il ne s'agit pas
de la liberté politique, du citoyen législateur: la liberté
politique n'a pas de bornes: elle s'en donne à elle même
librement dans le pacte constituant le Contrat social. La liberté
civile concerne l'homme qui possède des biens, qui est en
relation avec les autres sujets.
6
= limitée = Limitée mais réelle,
garantie pour ainsi dire par les lois expression de la volonté
générale qui seule peut limiter la liberté. Possession désigne
la simple occupation du sol que l'on travaille: la durée
d'occupation est fonction de la force du premier occupant.
7
= propriété = C'est l'usage
propre, la disposition propre d'un terrain, garanti par le droit
positif, écrit (titre de propriété)
8
= positif = Qui est posé
objectivement devant tous par la loi écrite. Sans le titre
positif, la possession serait menacée en permanence par les
forces des autres. Désormais "ceci est à moi" n'est
plus fondé sur le devenir des forces mais sur un accord de
tous.
Nous
pouvons maintenant bien distinguer les termes de la balance
à comparer:
- D'un côté ce que l'on abandonne: la liberté
naturelle - La possession.
- De l'autre ce que l'on reçoit: la liberté civile -
la propriété.
Pour Rousseau, comme on dit, "il n'y a pas photo". l'échange
est avantageux.
Pour avoir simplifié, Rousseau ne perd jamais de vue la
complexité: dans la suite du texte il va faire intervenir une
conséquence de la loi: l'ordre et la morale. Un
gain de plus.
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