"Ce
n'est pas la dureté d'une situation ou les souffrances qu'elle
impose qui sont des motifs pour qu'on conçoive un autre état des
choses où il en irait mieux pour tout le monde ; au
contraire, c'est à partir du jour où l'on peut concevoir un
autre état de choses qu'une lumière neuve tombe sur nos peines
et sur nos souffrances et que nous décidons qu'elles sont
insupportables. L'ouvrier de 1830 est
capable de se révolter si l'on baisse les salaires, car il conçoit
facilement une situation où son misérable niveau de vie serait
moins bas cependant que celui qu'on veut lui imposer. Mais il ne
se représente pas ses souffrances comme intolérables, il s'en
accommode, non par résignation, mais parce qu'il manque de la
culture et de la réflexion nécessaires pour lui faire concevoir
un état social où ces souffrances n'existeraient pas. Aussi
n'agit-il pas."
Sartre.
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= Pourquoi
l'ouvrier de 1830 se révolte-t-il mais ne conduit-il pas
une action pour réaliser l'idée d'un état où la
souffrance n'existe pas?
C'est
à cette question que Sartre répond dans ce texte.
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= Lisons
le texte ensemble:
I
- Sartre, dès le début rejette l'opinion qui, de manière
immédiate affirme que le concret précède l'abstrait: Tel
changement de situation ne donnera des raisons à l'homme de
former une idée claire d'un anti-monde où sa situation serait
améliorée, que si cette idée met en évidence sa situation.
motif: raison
de penser ou d'agir. L'opinion relie la situation et la conception
par un lien de causalité. C'est à cause de la situation que la
conception apparaît. Toute invention naît d'un besoin. Sartre
pense le contraire: c'est la conception qui éclaire la situation
et qui permettrait à l'ouvrier, s'il l'avait, de décider que la
situation est insupportable.
II
- pour Sartre c'est l'abstrait qui fait apparaître le concret, la
conception éclaire la situation, et celui qui n'a pas la
conception d'un état meilleur accepte la situation, parce qu'elle
lui est obscure.
III
- On comprend que l'ouvrier se révolte contre une mesure
particulière car il la comprend, il a la culture pour la
comprendre, il se voit entraîné parce qu'il la compare à son
niveau de vie. Il est capable de révolte, de refuser une mesure
particulière, mais il est incapable d'agir. C'est qu'il lui
manque cette idée d'un monde qui l'amènerait à décider que
cela ne peut plus durer, que la situation est insupportable.
Aussi n'agit-il pas, il ne conduit pas une action dans le temps
pour réaliser l'idée d'un état social où ces souffrances
n'existeraient pas, tout simplement parce qu'il n'a pas cette
idée et surtout parce que, ne l'ayant pas, il lui manque
l'éclairage qu'elle lui donnerait sur sa situation: il la
supporte parce qu'il ne la voit pas telle qu'elle est. Sa vue
manque de l'ampleur que donne la culture.
=
Ainsi, pour l'auteur, la révolte relève d'une étroitesse de
vue, la révolution relève d'une ampleur de vue.
C'est la culture
de l'observateur qui fait apparaître un monde et lui permet de
donner à une situation, une signification, d'en décider.
Bonne
continuation
Joseph Llapasset
©
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