Clivage =
séparation par niveau.
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c'est un phénomène observable dans les villes: l'espace de
production, le lieu de travail, est distinct de l'espace de
résidence, le lieu où l'on habite. (voir aussi le phénomène
de "ville dortoir").
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Cette distinction des espaces n'est pas pour cela,
immédiatement, une distinction des hommes car ce sont les
travailleurs qui occupent les résidences et les résidents qui
travaillent: le clivage est donc, d'une certaine manière nié
par les acteurs: c'est le même qui travaille et qui habite dans
des lieux différents.
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Comme "acteur", cela lui donne la possibilité de
jouer deux personnages différents et de passer dans la même
journée de l'un à l'autre: d'un système, dans le lieu de
travail, qui lui impose un statut selon une hiérarchie, à une
position qu'il se choisit dans l'espace de résidence. La
plupart du temps les personnages diffèrent et cette différence
n'est possible que par la distinction des lieux et des
relations:
par exemple, un syndicaliste combatif peut devenir un petit
propriétaire bourgeois et laisser la lutte en quittant le lieu
de travail, ce qui divise l'efficacité de la lutte par deux:
cela crée une contradiction en lui et cela affaiblit sa lutte.
Tel mettra toutes ses forces à défendre l'émigré sur le lieu
de travail mais manifestera contre l'installation d'un foyer
pour émigrés en face de sa maison, par exemple.
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Hypothèse: la distinction espace professionnel/espace
résidentiel aurait-elle pour origine le projet conscient
d'affaiblir les conflits du travail en séparant les deux
espaces dans l'espoir que la distinction favoriserait l'oubli
quotidien de la lutte, surtout si on ajoute la fatigue des
déplacements?
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Antithèse: cette distinction de deux personnages qui
deviennent possibles brouille les hiérarchies de la société
traditionnelle et permet de leur échapper: c'est donc la
promotion de chacun qui devient possible à partir du moment où
l'appartenance à une catégorie sociale imposée peut être
niée en se déplaçant.
Dans l'anonymat des grandes villes, chaque individu peut
échapper à la connaissance figée, au classement de
l'entourage: il peut alors en changeant d'espace de vie choisir
des rôles qui seront les siens. En échappant à un système,
au jugement qu'il implique, à la place qu'il occupe, il peut
"refaire sa vie", ce qui n'est pas possible dans une
société traditionnelle: l'homme y est prisonnier de son
passé.
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Hypothèse et antithèse montrent l'ambiguïté du clivage
et peuvent articuler une enquête avec comme "règle
d'or": toute enquête sur l'acteur d'un des espaces devra
nécessairement prendre en compte le rôle qu'il joue dans
l'autre espace.
Par exemple l'enquête sur un acteur d'un club sportif inséré
dans un espace résidentiel devra prendre en compte le rôle
qu'il joue dans l'espace de production ou, s'il est retraité,
le rôle qu'il y a joué.
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Le problème: Dans les villes où le projet a réussi, un
problème est apparu. On a certes séparé lieu de travail et
lieu d'habitation, mais on a aussi, sans le vouloir, séparé
les différentes générations et les différentes catégories
sociales au point de regrouper ou de laisser se regrouper telle
ou telle catégorie à tel ou tel endroit. Dans la mesure où un
milieu défavorisé se trouve regroupé sur un espace, des
clivages de la société traditionnelle réapparaissent avec des
jugements qui pèsent sur lui un peu comme dans le système des
castes.
Une fois de plus, on a voulu faire quelque chose et on obtient
le contraire.
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L'enquête pourrait alors porter sur l'action de votre
municipalité par rapport à ce problème. Quelles sont les
difficultés qu'elle rencontre pour aider à la reconstruction
d'un tissu social où le peuple des citoyens vivrait ensemble ce
qui donnerait à chacun plus de possibilités de promotion
personnelle, d'échanges, de rencontres. (voir les problèmes
que posent la carte scolaire et les acrobaties de certains pour
inscrire leurs enfants dans le lycée du centre ville.
Pour
votre enquête, je vous propose:
Althabe: "Le quotidien en procès" in Dialectiques
N°21, 1977.
Gutwirth: "l'enquête en ethnologie urbaine" in
Hérodote, N°9, page 38 à 55, 1978.
Joseph
Llapasset
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