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« La science »  

Scientificité des sciences économies ? (par P. Montfraix)

Une science de l'incertain est-elle encore une science? 

- page 1: discussion sur le statut des Sciences Économiques 
- page 2: Formaliser les comportements économiques
- page 3: L'incertitude économique
- page 4: La monnaie
- page 5: Qu'est-ce qu'une science économique?

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Enfin, quant à la monnaie , sans vouloir trop développer cet aspect, il suffit de voir combien le passage à la monnaie unique en Europe est anxiogène pour mesurer toute l'importance que revêt la certitude dans ce domaine. En effet, la monnaie étant un instrument de mesure, tout changement contraint à une réadaptation qui n'est jamais facile. De même, si l'on considère comme Michel AGLIETTA (économiste français contemporain) que la monnaie est le "langage" de l'économie, le passage à la monnaie unique est plutôt reçue comme un analphabétisme par les non initiés. -Ainsi, pour résumer ce premier point, on peut voir que, tant dans le domaine micro-économique du comportement individuel que dans ceux macro-économiques de la modélisation des politiques économiques et des phénomènes monétaires,  l'incertitude est aujourd'hui une variable incontournable. Or, nous avions montré dans la première partie que l'économie fonctionnait de manière systémique. Autrement dit, que les trois bases supposent un fonctionnement interdépendant sous forme d'implications réciproques, la rationalité simple des agents formant le premier niveau du système économique classique. Puisque l'incertitude vient corriger cette rationalité simple, que devient la représentation du système économique? Peut-elle être fiable? De fait, le projet de construction d'une science économique inspirée des méthodes et des ambitions cognitives des sciences dures n'est-il pas compromis? Peut-on construire une science sur de l'incertain qui en oblitère les capacités prédictives?
- Nous allons tenter de comprendre comment l'économie a inversé la question en construisant une science de l'incertitude qui reste cependant totalement une science. En effet, l'incertitude n'est plus une contrainte qui vient remettre en question le projet scientifique, elle est devenue l'objet de la science économique.

le raisonnement économique  Les raisons du basculement paradigmatique.

Elles sont doubles. Tout d'abord la science économique a renversé son projet cognitif, en cherchant moins à décrire une réalité objective qu'à participer à sa construction, ce qui est un moyen de réduire l'incertitude. Mais ensuite et surtout, si l'on s'inspire des travaux de Thomas KHUN, l'incertitude n'est pas un obstacle scientifique, à partir du moment où elle devient un paradigme reconnu par la communauté des scientifiques.

Première raison donc du renversement paradigmatique, la macro-économie va passer d'une approche essentiellement descriptive à une approche constructive de son objet. Plus exactement, la science économique va promouvoir un raisonnement anticipateur qui a pour objet de participer à la construction de la réalité sociale. En ce sens elle "fait système" en créant ce qu'elle analyse. Comment cela est-il possible ?

Précisément parce qu'il lui faut réduire l'incertitude.

C'est à J.M. Keynes - encore lui - que l'on doit cette révolution intellectuelle (au sens étymologique).
Il est, en effet, une décision économique des plus importantes, c'est celle qui conduit un entrepreneur à investir, c'est à dire à créer ou augmenter la capacité productive de son entreprise, c'est à dire à faire un pari sur l'avenir, à "jouer" une approche optimiste du futur. Mais, par définition, le futur est inconnaissable, il est incertain. Donc, pour réduire cette incertitude de l'avenir qui pourrait gêner son projet d'investissement, l'entrepreneur va chercher à l'anticiper. Or, le moyen le plus efficace consiste à projeter le présent dans le futur proche. On à, alors, moins de risques de se tromper qu'en tentant de deviner un futur lointain, par nature inaccessible à une quelconque certitude. En effet, le présent que nous vivons n'est jamais que le résultat des anticipations du passé (des décisions d'investissements que les entrepreneurs du passé proche ont prises et qui se traduisent par les machines et les bâtiments actuels). L'investissement participe ainsi à la création du futur, il est une anticipation auto-réalisatrice. D'une certaine manière, ce raisonnement keynésien libère l'entrepreneur de l'angoisse du futur. Certes, sa liberté n'est pas totale, puisque les agents économiques vivent en interdépendance et qu'il faut en tenir compte, mais elle est plus large que le simple déterminisme historique.

On comprend alors pourquoi les gouvernants des années 50 ont trouvé dans cette démarche un moyen d'action important. L'économie n'était plus vécue comme une contrainte. Une construction théorique venait étayer les politiques économiques avec un réel succès, au moins jusque dans les années 70. Elle donnait l'illusion d'une puissance démiurgique dans un domaine précédemment interdit aux débats politiques, l'économique. L'incertitude économique était partiellement compensée. Or, malgré les échecs des politiques les plus récentes, la fonction créatrice de la science économique s'est maintenue. On peut le mesurer à la place qu'occupent les économistes dans le champ politique d'aujourd'hui.

 Des ministres économistes aux experts régulièrement consultés, les gouvernements s'appuient de plus en plus ouvertement sur un aréopage de scientifiques qui éclaire ses choix.  
Ainsi, la scientificité des sciences économiques transcende l'incertitude du temps en participant à la construction de l'avenir. La discipline est moins descriptive que prédictive.

La seconde raison du renversement paradigmatique peut être recherchée dans une approche plus épistémologique inspirée des travaux de Thomas Khun
Relisons ce qu'il écrivait en 1962 dans son ouvrage "La structure des révolutions scientifiques". "Les révolutions scientifiques commencent avec le sentiment croissant, souvent restreint à une petite fraction de la communauté scientifique, qu'un paradigme a cessé de fonctionner de manière satisfaisante pour l'exploration d'un aspect de la nature sur lequel ce même paradigme a antérieurement dirigé les recherches." (ed. Champs - Flammarion, 1983, p. 134) Ainsi, la validité d'un paradigme réside moins dans sa pertinence absolue que dans la reconnaissance communautaire, par les membres de la discipline, de la représentation qu'il véhicule. Khun affirme ainsi la relativité absolue de toute hypothèse scientifique. L'objet d'un paradigme est moins de décrire objectivement un phénomène que de participer à la constitution et à la reconnaissance de la discipline. Il légitime le discours et conséquemment la place de ses porte voix. La fonction du discours est autant institutionnelle qu'heuristique.

Lorsque les économistes ont pris conscience que la représentation classique de l'économie, dont on a pu mesurer l'extrême simplicité, ne correspondait pas à la réalité, ils n'ont pas pour autant abandonné leur projet de construction d'une science dure. Ils ont uniquement changé l'objet de leur discipline. La question n'est plus, en effet, d'expliquer "la gravitation des prix" d'Adam SMITH ou encore ces "loi(s) observé(es) depuis des siècles et qui (ont) la même régularité que celles des sciences naturelles" chères à Milton Friedman. Elle est de démontrer l'incertitude des comportements économiques. Le paradigme dominant devient l'incertitude. Ainsi, la plupart des modèles économiques doivent, pour être cohérents, simplifier leurs hypothèses et leurs conditions. Les résultats qu'ils apportent valent plus par leur élégance formelle que par leur réalisme. Dans un article de la revue "Problèmes économiques" (n°. 2565 - 2566, 22 - 29 avril 1998), Robert Boyer pose la question avec encore plus de raideur, "Qui pourrait citer la moindre loi économique qui aurait été découverte au cours des deux dernières décennies... ou même tout au long de l'histoire de la transformation de l'économie politique et analyse économique ?". Donc, dire "le vrai", n'est plus l'objectif majeur de la discipline. Que les théories soient porteuses d'un certain degré d'incertitude quant à leurs hypothèses et à leurs résultats importe moins que trouver un consensus sur leur pouvoir cognitif. La pluralité des hypothèses, la complexité des mécanismes, l'étendue des champs contraignent la discipline à déplacer son discours scientifique. L'incertitude n'est plus une limite scientifique à la discipline, elle devient la base paradigmatique de sa constitution.

Alors si l'on reprend la phrase d'Henri Matisse mise en exergue de ce texte ("La vérité n'est pas l'exactitude") on peut effectivement dire que "la vérité n'est pas l'exactitude". La science économique s'occupe de l'exactitude de ses modèles et présupposés et non de la vérité absolue, de son discours par rapport à la réalité sociale.

Elle est bien une science de l'incertain. On peut alors se demander, pour conclure, quelles en sont les conséquences ? Qu'est-ce qu'une science?

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