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« La science »  

Scientificité des sciences économies ? (par P. Montfraix)

Une science de l'incertain est-elle encore une science? 

- page 1: discussion sur le statut des Sciences Économiques 
- page 2: Formaliser les comportements économiques
- page 3: L'incertitude économique
- page 4: La monnaie
- page 5: Qu'est-ce qu'une science économique?

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incertitude?

On peut définir l'incertitude économique comme la situation où le futur économique est illisible, les comportements des agents deviennent imprévisibles, les projets non fiables. Or, depuis trente ans, l'intégration de l'incertitude est venue bouleverser les bases théoriques des sciences économiques de sorte que la rationalité simple, telle que définie plus haut, s'est considérablement complexifiée.

  Pourtant, les économistes ont pris en compte ces approfondissements pour renforcer le statut scientifique de leur discipline, alors même que leurs objets devenaient moins sûrs. Comment expliquer un tel paradoxe ? N'y a t-il aucune conséquence à voir une discipline aussi nettement marquée par la volonté de se rapprocher des sciences dures, être réduite à n'accepter comme objet de recherche qu'un socle mou? On peut déjà affirmer que, sur le plan cognitif les sciences économiques gardent un certain pouvoir explicatif, incontournable malgré ses faiblesses. Par contre, sur le plan épistémologique et surtout philosophique, il devient légitime de s'interroger sur les risques d'une telle situation , alors même que les analyses théoriques qu'elle propose ont des effets pratiques importants: Parce qu'il devient souvent un argument politique, le discours économique a des conséquences sociales.

Prenons quelques exemples : Premièrement, la croissance économique de ces vingt dernières années a entraîné à la fois l'enrichissement des économies occidentales et la marginalisation croissante d'une partie de leur population, les nouveaux pauvres. Or cela, les économistes l'expliquent par les contraintes de la concurrence internationale. Deuxième exemple, le libéralisme russe, parce qu'il a été appliqué sans contrôles, a créé des situations de précarité que l'on croyait avoir oubliées depuis un siècle. Mais pour nombre d'économistes c'était une voie indispensable pour s'éloigner durablement du modèle socialiste, quel qu'en soit le prix. Enfin, certains pays en voie de développement, pour bénéficier d'une aide financière, doivent accepter les conditions drastiques que le F.M.I. leur impose malgré leurs conséquences sur la population. Ces effets pervers sont connus mais ils sont considérés comme mineurs par rapport à l'objectif de développement, partagé par les dirigeants du F.M.I. et ceux des pays en cause. Ainsi, pour ces trois exemples, les arguments scientifiques viennent toujours en contre point des constats empiriques. Or, si le socle de l'argument est défaillant ou insuffisant, pourquoi affirmer la primauté d'un discours scientifique sur un discours politique ou éthique qui peut mettre en avant d'autres priorités? Quelle hiérarchie doit s'imposer? Pourquoi celle d'une logique incertaine aurait elle plus de légitimité que les autres?

Telle est la question fondamentale que pose l'émergence d'une science fondée sur l'incertitude, alors qu'elle cherche à apparaître comme une science dure par l'utilisation d'une rhétorique et de modèles inspirés des autres champs scientifiques.
Voyons d'abord en quoi l'incertitude peut remettre en cause les trois bases des sciences économiques, telles que proposées plus haut. On pourra alors essayer de comprendre pourquoi malgré cela, les sciences économiques peuvent rester des sciences de l'incertain. Enfin, on cherchera quelles en sont les conséquences sur la place de l'économie dans les débats politiques et dans le champ des sciences.

Le développement de l'incertitude dans le discours économiste.

L'incertitude gagne tout autant le principe de la rationalité des comportements que la possibilité de construire des modèles ainsi que la place de la monnaie.
C'est au niveau micro économique des comportements rationnels que la prise en compte de l'incertitude apparaît de la manière la plus claire. Pour qu'un comportement soit rationnel, l'approche classique entendait au moins deux conditions : que l'acte économique soit cohérent en finalité (c'est à dire conforme au but que l'on cherche à atteindre, par exemple augmenter son revenu) et qu'il se réalise dans les meilleures conditions possibles d'information (au sens où on ne peut prendre de décision que si l'on est bien informé).
Or, par soucis de réalisme les économistes contemporains ont dû modifier leurs approches classiques.

jeux Ainsi, par exemple, la "Théorie des jeux", initiée par les travaux de Von Neumann et Morgensten, montre que si la rationalité des comportements reste une hypothèse valable, sa mise en oeuvre s'est considérablement compliquée. Les décisions ne sont plus prises de manière autonome, ainsi que le suggère l'approche classique, mais ancrées, naturellement, dans une dimension relationnelle. Or, si l'action d'un agent dépend d'interactions avec d'autres agents, la cohérence simple des classiques perd de son évidence. C'est en tous cas ce que nous montre le fameux dilemme du prisonnier (exemple type de la théorie des jeux). Deux coupables choisissent d'avouer leur forfait et vont faire de la prison, alors que si aucun d'entre eux n'avait parlé ils auraient été libérés. Transposé dans le domaine économique cet exemple souligne que les chaînes décisionnelles peuvent être incohérentes (selon la définition donnée plus haut) alors qu'elles paraissent logiques.

Avec les représentants de l'économie de l'information, l'incertitude franchit même un palier. Les agents économiques sont supposés être de toutes les façons mal informés des conditions et des risques de leurs décisions. Pour se prémunir contre ces aléas, ils vont chercher à signer des contrats où toutes les situations possibles seront envisagées. Évidemment, cela interdit la signature du moindre contrat.

Ici, l'incertitude est au coeur du raisonnement économique, en devenant hypothèse d'un modèle qui reste fondamentalement rationnel.

Ainsi, au niveau micro économique, le postulat d'une rationalité simple des agents - fondée sur la maximisation d'un avantage - est passablement complexifié par la prise en compte de situation d'incertitude. La représentation réelle de l 'économie en est nécessairement modifiée. L'impression se renforce au niveau macro-économique à propos de la construction des modèles de croissance. Mais ici elle se déplace un peu. Ce sont moins les comportements qui portent cette incertitude que l'efficacité des mécanismes économiques (les économistes parlent de plomberie et de tuyaux).

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Par macro-économie on entend la partie de la discipline qui s'intéresse aux phénomènes globaux. La macro-économie participe à la construction des politiques économiques, c'est à dire à mettre au point les instruments politiques permettant d'agir sur l'activité économique.

C'est dans ce cadre que la modélisation économique fût la plus poussée. Bénéficiant des progrès statistiques du siècle dernier et de la création d'institutions de mesure telle que l'INSEE en France, les économistes ont pu construire des raisonnements portant sur des variables globales (c'est à dire qui concernent une économie dans son ensemble). La formule keynésienne présentée plus haut donne une idée du degré de généralisation et d'abstraction atteint. A partir de ces représentations synthétiques, il devint alors possible de construire des modèles globaux d'action dont les politiques saisirent immédiatement l'opportunité. Toute politique économique, que l'on peut comparer à une expérimentation, est légitimée par un discours scientifique dont l'analyse des effets constitue le mode de validation. On entre ici de plein pied dans une conception expérimentale de l'économie et les gouvernements deviennent des laboratoires où sont validées ou réfutées les hypothèses. Or, précisément, les analyses keynésiennes, qui vont inspirer les politiques économiques d'après guerre durant une trentaine d'année, auront un indéniable succès. On a alors pensé qu'effectivement les sciences économiques pouvaient proposer des solutions fiables et pratiques pour traiter les grandes questions économiques. Mais depuis les résultats sont moins éclatants. Le ralentissement de la croissance, la montée du chômage, l'appauvrissement et la marginalisation croissante d'une partie de la population entachent les capacités thérapeutiques de la politique économique et, par contre coup, celles des théories économiques:
-C'est ici que naît l'incertitude macro-économique.

Les économistes analysent cette incertitude en utilisant deux arguments.
-Tout d'abord, la mondialisation de l'économie complexifie les chaînes de causalité. Agir sur un levier est moins efficace que ce que les modèles prédisent puisque ceux-ci sont, par nature, simplificateurs. Pour être cohérents, en effet, ils sont contraints de ne comporter qu'un nombre limité de variables permettant de valider les hypothèses. Or, l'inscription des économies dans une dimension mondiale rend l'efficacité des modèles économiques plus aléatoire.
-Le second argument renvoie lui, au manque de volonté politique des dirigeants. Un exemple est ici significatif. "La persistance de problèmes macro-économiques majeurs reflète souvent l'impuissance des responsables politiques à mettre en oeuvre les stratégies possibles". Cette citation de Jacques Généreux (Introduction à la politique économique, Points Seuil, 1997, p. 367) exprime bien l'état d'esprit des économistes. Les solutions "techniques" existent mais les politiques ne veulent (ou ne peuvent) les appliquer. L'incertitude se déplace alors de l'argument scientifique vers l'action politique. Les théories ne sont pas en cause puisque justes (employer l'expression "les stratégies possibles" sous entend une certaine validité), même si elles se complexifient du fait d'évolutions économiques majeures comme la mondialisation. C'est la volonté politique qui fait défaut. Le politique devient un frein à la "mécanique économique".

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