Auteurs Arthur Rimbaud (1854-1891) I- Les Illuminations.
On a beaucoup écrit sur ce garçon, dont la destinée et l'activité littéraire, toutes deux brèves et fulgurantes, frappent l'imagination. Mon propos n'est pas d'ajouter à l'étude de ses textes des commentaires biographiques, ou des interprétations savantes, je n'en ai ni la compétence, ni le goût. Je voudrais simplement tenter de voir dans les Illuminations comment s'y prend un jeune pour exprimer une révolte totale. Avant de nous y lancer, posons tout de même quelques points de repère. Un sale gosse superbement doué. Arthur Rimbaud naît dans les Ardennes, au milieu d'une famille bourgeoise apparemment sans problèmes particuliers, il a frère et sœurs. L'autorité de sa mère et sa piété envahissante lui sont insupportables, mais il restera toute sa vie imprégné de références religieuses, malgré ses efforts pour s'en libérer. Au lycée, il se montre brillant, amasse une belle culture classique et fait l'admiration de ses maîtres par son incroyable facilité d'écriture. Malgré cela, peut-être bouleversé par les cruautés de la guerre de 70, qui se joue tout près (nous en avons l'écho dans le Dormeur du Val), il ne passera pas son bac. En effet, à seize ans (en 70), il rompt avec les traditions de son milieu et il entame une vie vagabonde coupée de retours alimentaires à la maison (il évoque cette période d'insouciance relative dans Ma Bohème). Cette errance, qui dure cinq ans, est celle d'une expérience tous azimuts, où la drogue, l'alcool, la frénésie sexuelle mettent à rude épreuve sa santé physique et mentale, en effet, révolté permanent contre la famille, la religion, les lois, et plus profondément contre sa situation d'être humain, il risque tous les excès pour aller, par l'hallucination, l'hypnose, ou l'orgasme, au-delà de cette nature limitée, c'est à dire au-delà du possible. C'est à cette période qu'il vit une passion tumultueuse avec Verlaine, ce grand poète toujours tragiquement partagé entre sa sensualité et son mysticisme. C'est aussi le moment où il écrit. A partir de 1876, à vingt deux ans, il pose définitivement la plume du poète, et quitte le vieux continent pour des aventures plus lointaines. Elles le conduiront au coeur de l'Abyssinie, d'où il rentrera en France, malade, pour y mourir à trente sept ans. Ce brusque silence et cette mort prématurée éclairent dramatiquement le personnage, elles donnent une impression de gâchis, on a envie de s'écrier: "Quel dommage!". Mais, au fond, Rimbaud s'est peut-être tu parce qu'il n'avait plus rien à dire. Et s'il n'a pas survécu toute une longue vie, c'est peut-être parce, vidé de sa révolte, ou comprenant qu'il ne pourrait jamais l'exprimer de façon satisfaisante, il avait perdu sa raison d'être? Les Illuminations, que nous nous proposons d'étudier, sont un recueil de de textes en prose ou en vers libres, qui semblent avoir été écrits à la même période qu'une Saison en Enfer (publié en octobre 1873), disons, entre 1872 et 1875, au moment des ruptures successives du garçon avec Verlaine. Laissées inachevées, ces pièces sont réunies et rangées diversement, selon le jugement de leurs différents éditeurs. On leur a donné pour titre, Les Illuminations, en se fondant sur les indications de Verlaine, d'après qui le mot signifierait "enluminures"... Dès qu'on parle de Rimbaud, les "probablement" et les "peut-être" surgissent! Toutes les hypothèses et leurs contraires sont recevables. Aussi dirons-nous librement ce que nous inspire notre lecture, sûrs que cet iconoclaste ne nous en voudra pas. Aller à la page suivante: le catalogue des désespoirs.
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